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2 Le cul majuscule
27 janvier 2011
Je m’installai tranquillement dans mon bureau provisoire, à l’abri des regards obliques et cliquait sur la clef curieusement nommée Pages Glacées. Une page de garde apparut, cela ressemblait à un manuscrit.
PAGES GLACEES par Sophie Mac
Toute ressemblance avec des personnages réels… n’est PAS fortuite, bien sûr, sinon, ce ne serait pas drôle.
Saut de page et début du texte :
Louis Lannois sortit du taxi garé en double file. Son habit vert dissimulé sous un manteau de cachemire, il se sentait vaguement ridicule de devoir se frayer un chemin sur le trottoir encombré devant le cinéma au pied de l’immeuble de sa femme. Il voyait les regards en biais, devinait les commentaires :
“Tiens un académicien en vadrouille !”
“Tu crois que c’est Maurice Druon ?”
“Petit comme ça ? Tu rigoles.”
Une fois de plus Lucile était en retard. Une fois de plus, elle le faisait attendre pour lui faire payer je-ne-sais-quoi...l’honneur d’être son mari. Son mâââri. Elle avait une façon particulièrement énervante de dire ça. Bien sûr, elle avait attendu suffisamment longtemps le grand jour. Trente ans ? Il aurait dû être ému mais l’idée d’assister au grand lever de madame alors qu’elle avait passé toute sa journée à se faire toiletter dans les meilleurs instituts de Paris le lassait infiniment. Quand ils avaient un diner, elle s’y préparait depuis le matin mais le soir, elle ne pouvait s’empêcher de faire la coquette et de se rajouter une dernière couche de mascara, un voile de laque, un litre de Shalimar.
Parvenu à l’appartement de Lucile, il sonna par correction, pour lui donner le temps de se laisser surprendre dans la position qui lui semblait la plus irrésistible, en général du Cinémonde pur jus : ses merveilleux bras blancs levés, accrochant une mèche de cheveux ou une boucle d’oreille ou, si elle était particulièrement inspirée, ses mains manucurées de frais accrochant un bas arachnéen à un porte-jarretelle noir.
“ Lucile ?”, appela-t-il en entrant.
Quand il ne la vit pas, il eut la brutale envie de tourner les talons. Il détestait cet endroit : trop chaud, trop plein de bibelots, de passementerie, de rubans, de juponnages. Il lui rappelait cruellement qu’il avait épousé une grande cocotte et son orgueil académicien en souffrait.
Il traversa ce qu’elle appelait pompeusement son bureau, puis la salle à manger et aperçut finalement la pointe d’une mule bordée de cygne par l’entrebaillement de la porte de sa chambre à coucher. Elle n’aurait pas dû. Il n’avait jamais osé lui dire qu’il n’aimait plus lui mettre ses chaussures, qu’il trouvait ses pieds trop gros maintenant. Elle l’avait conquis avec son cul. Son énorme cul de percheron, blanc, irréel. Il savait que certains, au journal, disaient qu’elle était “déportée dans les virages” mais personne n’imaginait la volupté qu’il y avait à se fondre dans ces fesses felliniennes. C’était comme plonger dans un lac de crème, disparaitre dans un océan de chair.
Elle avait 19 ans et lui presque le double quand il avait vu cette incroyable silhouette au détour d’un couloir et, aujourd’hui encore, cette évocation lui faisait les mains moites. Il lui avait appris à se sangler dans des corsets, à faire ressortir la masse de ce cul de compétition avec des rubans, des lacets, des serre-taille et de ça, même dans ses moments d’exaspération les pires, il n’était toujours pas fatigué. Mais les pieds, il n’avait jamais pu s’y faire. Il décida de ne pas entrer.
“Lucile, nous sommes en retard. Le taxi est en double file.”
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