88 Adieu Madame !

19 septembre 2011

Le matin, il décida qu’elle était certainement partie en reportage pour la semaine et qu’elle allait ressurgir d’un moment à l’autre. Cette idée l’encouragea à nettoyer un peu son appartement qui commençait à ressembler à une cage de babouin. Vers deux heures, il se sentait tellement optimiste qu’il prit son téléphone. Elle décrocha immédiatement :
“Oui ?” Elle avait le ton de quelqu’un que l’on dérange.
“C’est moi. Tu es en ligne ?”
“Oui, rappelle-moi plus tard : j’ai beaucoup de coups de fil à passer.”

Il essaya de ne pas relever le langage subtil du double appel, du "rappelle plus tard" à "ne quitte pas, je te prends", il y avait tout un ordre de préséance et de préférence. Mais, tout au soulagement d’avoir entendu sa voix, aussi froide fut -elle, il enfila son manteau et partit pour la rive gauche. Il allait lui faire la surprise de la rappeler du café en bas de chez elle. Il évita la bière, supposant qu’elle ne devait pas apprécier l’haleine chargée de Kronenbourg et s’installa confortablement pour attendre.
Un taxi s’arrêta au bas de l’immeuble d’Alex et elle apparut à la porte, plus élégante qu’il ne l’avait jamais vue. Plus inatteignable aussi.
Il réprima son envie de se précipiter vers elle mais quitta la brasserie rapidement et monta dans sa Peugeot couleur muraille. Il suivit la Mercedes Diesel y prendre garde. C’était de la routine de flic, rien de plus. Il conduisait sans hâte dans les rues étroites du sixième arrondissement qui commençaient à préparer Noël.. Brutalement, le taxi s’arrêta devant un immeuble genre XVIIIe réhabilité. Il dépassa la Mercedes sans hésiter, tourna à la première rue adjacente et se gara sur le trottoir. Il eut le temps de l’apercevoir qui tapait un code et disparaissait. Il revint garer sa voiture face à l’immeuble et attendit, surpris d’être si calme alors qu’il était en train de surveiller la femme qu’il aimait.

Vers cinq heures, elle sortit, parlant avec animation à un homme dont on devinait la silhouette dans le contrejour du hall d’entrée. Beaudoin sortit de sa Peugeot tandis qu’Alex partait d’un éclat de rire heureux. Il marcha à sa rencontre. L’homme la tenait par le coude. Comme un amant, se dit-il.
“Bonsoir.”
Le rire disparut de ses yeux mais c’est sur un ton enjoué qu’elle lui répondit :
“Alors, inspecteur, toujours sur la brèche ?”
Dans cette simple apostrophe, elle avait mis sa colère d’avoir été suivie.
“Je voulais juste vous tenir au courant de la fin de l’enquête,” parvint-il à prononcer calmement.

“Vous savez qu’il m’arrive de lire les journaux,” ironisa-t-elle.
“Je m’en doute mais, dans la mesure où vous nous aviez beaucoup aidé, le commissaire Vogel et moi…”
“C’est très gentil. Il est vrai que je vous ai donné quelques clefs, même si elles n’ouvraient sur rien.”
Elle n’avait pas rougi, ni cillé. Simplement, son regard clair s’était opacifié.

Furieux de son impuissance à l’émouvoir, il ajouta :
“Je pensais que cela vous amuserait de savoir que c’est en vous quittant la semaine dernière que j’ai découvert la vérité.”
Elle lui jeta un œil plus ennuyé qu’amusé :
“Oui… il s’agissait un meurtre écologique, en somme. Mon pauvre Marcel, j’espère que vous ne le retrouverez jamais.”
“"Mon" pauvre ? Vous le connaissiez donc ?”
“Vous ne saviez pas ? Je le connais depuis toujours. Mes grands-parents sont de Nogent-le-Rotrou. Il habitait la ferme voisine. C’était mon protecteur quand j’étais petite. En fait,” ajouta-t-elle la malice au fond des prunelles,“ il n’a jamais supporté que l’on me fasse du mal. Même pas la plus petite peine...”

Elle jugea de l’effet de ses paroles et conclut :
“Félicitations, inspecteur ! Je suppose que cela vous portera chance pour la suite de votre carrière. Au revoir.”
“Adieu, madame.”

Il remonta dans sa voiture vexé de sa grandiloquence et partit vers Pigalle. Il fit une halte à l’Arabe du coin pour s’acheter à boire et s’effondra finalement sur son matelas, le dos appuyé sur sa couette roulée en boule.Il aligna méthodiquement des bouteilles au pied de son lit tandis que Billie Holliday suppliait dans le noir "Gimme a pigfoot and a bottle of beer"… Il se contenterait de whisky pour les heures à venir.

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