76 Aimez-vous Mozart ?

7 juillet 2011

Rabroué comme un gamin, il s’exécuta et commença à grimper les étages à pied. Parvenu au cinquième, il entendit de la musique à travers la porte laquée bleu outremer et resta figé, sans oser faire un pas de plus ni appuyer sur la sonnette. Il se sentait pris en flagrant délit d’indiscrétion. C’était comme s’il surprenait un pan de sa vie où il n’avait rien à faire. Cet opéra qui filtrait légèrement dans l’escalier lui faisait le même effet que s’il l’avait surpris dans son bain. S’il sonnait, ce serait une intrusion, une violence faite à cette femme qu’il ne connaissait pas. Elle était chez elle, en peignoir peut-être, et fredonnait maintenant sur les Noces de Figaro : il entendait un Chérubin à la voix fragile qui s’essayait à escalader les octaves et n’avait pas le cœur d’envahir cette parenthèse paisible.

Il resta ainsi, derrière la porte, et finit par deviner qu’elle chantait en tapant sur son ordinateur. Il posa son paquet sur le paillasson en ajoutant un petit mot sur une feuille de papier "si vous aimez toujours les bulbes, celui-ci sera fleuri à Noël…" et descendit à pas de loup. Sous le porche, la gardienne s’activait à faire briller les cuivres et il sortit le plus discrètement possible. Puis il descendit les allées de l’Observatoire et décida d’aller au bureau maintenant qu’il avait le cœur plus léger.

Quand il arriva, Vogel était en grande discussion téléphonique avec un fonctionnaire du ministère de la Coopération. Il s’installa en face, les mains à plat sur les genoux, calme comme il n’avait pas été depuis longtemps. Finalement, Vogel raccrocha et après lui avoir jeté un œil interrogateur, pour s’assurer qu’il allait bien, il lui annonça triomphalement :
“On va en visite cet après-midi. Il y a un ancien fonctionnaire de l’ambassade de France au Gabon qui connait le passé un peu trouble de Charlotte, le triste amant de Lucile, du temps qu’il dirigeait l’agence BNP de Port-Gentil. Cela nous permettra peut-être de comprendre quelque chose à notre histoire.”

Le fonctionnaire en question était maintenant un petit vieux monsieur qui avait usé sa santé en Afrique, avant et depuis la décolonisation. Il passait une retraite souffreteuse dans un pavillon de meulières, rue des Petits Rentiers à Villemomble. Une jeune métisse au teint indéfinissable accueillit Vogel et Beaudoin à la grille du jardin et leur dit que son père les attendait au salon. Ils aperçurent en entrant une silhouette en pagne et mouchoir de tête qui s’activait dans la cuisine et ils supposèrent qu’il s’agissait de la mère de la jeune fille.
Albert Petitrichard était installé sur une chaise longue à côté de la fenêtre d’où il pouvait regarder les arbres. Il sourit en voyant sa fille, visiblement attendri par sa grâce et leur fit signe de d’asseoir.
“Excusez moi de ne pas me lever mais mes jambes ne sont pas en très bon état et de toutes façons Hermine adore jouer à la maitresse de maison !”
Devant l’expression de surprise de Vogel au nom de la jeune fille, Petitrichard précisa :
“Hermine est un prénom très prisé au Gabon et Honorine, ma… femme gabonaise, a voulu l’appeler comme ça.”
Hermine partit d’un joli rire et les deux policiers se joignirent à la bonne humeur ambiante.

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