66 Qui drague qui ?

11 juillet 2011

“Connaissait-il Lucile et Louis Lannois ?”
“Aucune idée. Tout le monde connaissait Lannois. Lucile, cela m’étonnerait. Elle n’était pas une flèche tandis que Charlotte avait la réputation d’être un crack dans son domaine. Elle était très femelle et je ne les vois pas non plus s’échangeant des recettes de beauté. Non, Balinaud c’est plutôt magouilles affaires. Il est soupçonné d’être au mieux avec certains lobbies et d’en vivre très confortablement.”
Devant son étonnement, elle ajouta par pure provocation :
“Les pédés ne sont pas toujours des crétins, vous savez inspecteur ?”
“Et les inspecteurs non plus !”

Elle éclata de rire, enfin. Il adorait son rire, c’était comme le soleil qui perce les nuages. Il vit à son regard qu’elle devinait ce qu’il pensait.
“Cela ne vous donne pas tous les droits, non plus.”
“Je n’ai qu’un droit, celui de me taire, c’est cela ?”
Elle haussa les épaules, les yeux très clairs.
“C’est tout ce que vous vouliez savoir ?”
“Pour Balinaud oui.”
“Alors, je m’en vais ?”

Elle se moquait de lui maintenant, les jambes haut croisées, la tête légèrement renversée en arrière. L’image même de la coquetterie féminine. Elle savait exactement ce qu’elle faisait et s’amusait de jouer avec lui.
“Non, sauf pour déjeuner avec moi.”
“Qui a dit que j’étais libre ?”
“Personne, mais vous pouvez téléphoner pour remettre votre rendez-vous.”
Un instant, il se demanda s’il n’était pas allé trop loin et si elle n’allait pas se draper et partir pour lui signifier qu’elle restait maitresse du jeu.
“Ce n’est qu’un déjeuner de presse et tout le monde survivra bien sans moi.”

Il la laissa un instant seule dans le bureau, le temps de résumer l’entretien à Vogel.
“Elle n’invente pas par hasard ?”
“Je ne pense pas et cela doit être facile à vérifier au journal. Je m’en occupe cette après-midi.”
“Doucement. Je vais demander des conseils à un de mes amis spécialisé dans les délits d’initiés, lobbies et trafics d’influence.”

Il la retrouva qui faisait les cent pas dans le couloir peints de gris-vert, indifférente aux allers et venues des policiers et à leurs regards appuyés. Beaudoin la prit par le coude et la mena vers l’extérieur.
“Vous aimez le Louis XIV, place des Victoires ou vous préférez Chez Georges ?”
“Pas Chez Georges, c’était l’une des cantines de Lucile. Elle et Louis y avaient leur table.”
“Alors le Louis XIV ?”
“Si vous ne redoutez pas de vous trouver au milieu des journalistes de tous les groupes de presse du quartier de la Bourse...”
“Si vous ne redoutez pas d’y être vue avec un flic !”
“Je ne suis pas connue à ce point et vous n’avez pas "flic" écrit en fluo sur le front.”

Elle marchait vite, les mains dans les poches de sa pelisse et il ne se risqua pas à lui attraper le bras. Il devinait que cette situation la mettait mal à l’aise : elle était évidemment une femme fidèle à son mari et ne savait comment réagir à ses hommages appuyés. En même temps, la séduction ne lui faisait pas peur. Lui-même se sentait vaguement coupable mais elle lui plaisait. Il s’étonnait de la violence de ses envies et de l’obsession que représentaient cette démarche, ce profil et la masse de cheveux dans laquelle il attendait de plonger ses doigts. Il la suivit dans son itinéraire folâtre sans dire un mot. Ce n’est que lorsqu’ils arrivèrent passage Véro-Dodat qu’elle poussa une sorte de soupir de bien-être.
“Vous n’aimez pas cette galerie ? Je trouve que c’est la plus belle de Paris.”

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