77 Mangrove, lagune et eaux troubles

16 août 2011

“Monsieur, commença Vogel, nous voudrions vous épargner une trop grande fatigue mais nous enquêtons sur un affaire compliquée qui nous a mené jusqu’à Jean-Charles Balinaud. Je ne pense pas qu’il ait grand-chose à voir dedans mais nous aimerions connaitre son passé puisqu’il jouit d’une réputation un peu trouble dans son journal.”
Petitrichard semblait s’amuser énormément :
“Une réputation de quoi ? A part de partouzard, de pédophile, de... quoi d’autre encore ? C’est un garçon parfait. J’ai dû le mettre dans un avion pour la France en 24h mais autrement, tout allait très bien.”
“A-t-il trempé dans des histoires d’argent louches ?”
“Bien sûr, comme tous les banquiers dans de semblables circonstances...”
“C’est-à-dire ?”
“En Afrique, avec l’obligation de fermer les yeux sur toutes les petites indélicatesses des élus locaux, mais personne n’a jamais dû rentrer par le premier avion pour ça !”

Vogel jeta à Beaudoin un regard qui signifiait qu’il comprenait encore moins la vie en Afrique que la presse parisienne. Ce dernier qui n’avait jamais mis les pieds au sud de Djerba, suggéra à Petitrichard de tout raconter depuis le début, avouant qu’ils avaient beaucoup de mal à suivre ces allusions.

“Balinaud est arrivé au Gabon au début des années 70. Il travaillait pour une filiale de la BNP et s’est vu confier la direction de l’agence de Port-Gentil. La ville se développait bien, surtout grâce au pétrole. On commençait à installer toutes ces plates-formes offshore aux noms de poissons. Il y avait "grondin" si je me souviens bien, "baudroie", "anguille". Mais à part ça, Port-Gentil, ce n’était pas grand chose. Nulle part où aller en dehors de la plage et, du côté de l’océan, les vagues étaient particulièrement mauvaises. Tous les ans, il y avait des noyés. Pas comme à Libreville où l’estuaire est en général un lac. Il n’y avait même pas de route pour sortir de ce bled parce que, de toutes façons, il n’y avait que le sable et la mangrove. Rien d’enthousiasmant pour un jeune homme. On pouvait peut-être essayer de séduire les femmes des pétroliers. Elles devaient s’ennuyer ferme, elles aussi, mais tout se savait immédiatement et cela faisait régulièrement des histoires. Bref Balinaud a dû s’apercevoir très vite que Port-Gentil n’était pas une cité de plaisir, du moins du côté des Blancs. Alors, il a cherché ailleurs. Il s’est assez vite acoquiné avec Tchikoumbit, avec un "t" pour faire plus français, Pierre-Narcisse Tchikoumbit, ex-député-maire dans le coin. Comme tous les directeurs de banque l’auraient fait et le faisaient d’ailleurs dans des cas similaires, il l’a laissé s’endetter tout en sachant parfaitement qu’il ne rembourserait jamais mais c’était les instructions de la direction.”
Petitrichard savourait d’autant plus ce retour dans sa jeunesse qu’il lisait un étonnement à la limite de l’incrédulité dans les yeux du jeune policier. Le plus âgé semblait surpris mais fataliste, il en avait vu d’autres.

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