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78 Gay tropiques
17 août 2011
Hermine arriva avec une carafe de jus de fruits et des verres qu’elle posa sur la table basse à côté de son père.
“Tu as soif ma chérie ?” lui demanda-t-il.
Elle regarda les deux hommes en battant des cils, les yeux incroyablement verts dans un visage semé de taches de rousseur. Elle était le plus détonnant cocktail qui puisse se concevoir et ils comprenaient l’émerveillement du vieil homme devant cette adorable poupée qui était l’ultime cadeau de sa vie.
“C’est pour vous que Maman a pressé des citrons et des oranges fraîches, j’espère que vous aimez ça. Mon père, lui, doit prendre des vitamines.”
Ils burent en silence, ne sachant que dire devant cette paix familiale soigneusement abritée derrière le mur du jardinet. Ils avaient deviné à l’hésitation concernant sa "femme gabonaise" qu’elle n’était peut-être pas la seule et que tout n’avait pas été simple pour parvenir jusqu’ici. Ils devinaient aussi l’inquiétude du vieux fonctionnaire devant l’avenir de sa ravissante Hermine et sentaient tout ce que cette harmonie avait de fragile. A le voir dans son fauteuil, jaune comme un coing d’avoir avalé des milliers de cachets de Nivaquine jour après jour, Beaudoin lui trouva des ressemblances avec sa fille dont la couleur rappelait celle des petites bananes que l’on voyait dans les devantures de Fauchon, un jaune rosé de pulpe de fruit.
Vogel l’interrompit dans ses rêveries gourmandes :
“Mais y-a-t-il eu des problèmes financiers ? des malversations sortant de l’ordinaire, si je puis dire... C’est ce que j’ai cru comprendre.”
“Mais pas du tout,” gloussa le vieux, remonté après son verre de vitamines.“ Pas du tout ! La BNP n’a vraiment rien eu à lui reprocher : je vous l’ai dit, il suivait les directives comme tous ses confrères. Point final. Non, ce qui s’est passé est d’ordre plus... comment dirai-je ? Intime ? Physique ?”
Vogel jeta un regard effondré à Beaudoin, attendant des révélations scabreuses et filmées de préférence sur la passage de Balinaud en cuir et chaine chez les pétroliers d’Elf. Petitrichard qui ne s’était pas tant amusé depuis longtemps, les regardait d’un œil égrillard.
“Vous savez l’Afrique, c’est autre chose ! Vous voyez bien des choses à Paris mais le Gabon, ce n’était pas mal non plus. Il est arrivé que Tchikoumbit a fait des petites fêtes chez lui, avec des filles, de l’alcool et de la drogue. Le tout en grande quantité. Il y invitait régulièrement son banquier préféré et un jour, il l’a même convié, chez lui, en, brousse pour une faveur spéciale. Pour lui montrer qu’il ne voulait pas l’ensorceler, il lui a offert une bouteille de whisky non décapsulée et une vierge. La coutume veut que l’on consomme les deux. Je ne sais pas comment Balinaud s’était débrouillé jusque là mais en fait, il ne raffolait pas des femmes et déflorer cette très jeune fille n’a pas été une partie de plaisir. Voilà où en étaient leurs relations à ce moment-là. Rien que de la routine presque... Seulement, cela s’est gâté quand Balinaud a repéré le cuisinier du député, un garçon efféminé qui servait à table en ondulant quelque peu et qui lui a proposé, après je-ne-sais-quelle tractation, un petit collégien très mignon de sa famille. Le gamin, Ogandaga Marcel, est venu chez Balinaud et quand il a compris ses intentions, il s’est débattu et a cassé la télévision. Cela a fait une histoire épouvantable : le père du gamin, Abelogo Ephraïm, était pasteur presbytérien à la chapelle pentecôtiste de Petit Paris et lui-même formé par un pasteur suisse de la mission évangélique française de Pentecôte. Le genre qui obéit à la Bible et fait beaucoup d’enfants. Bref, au consulat de France, il a fallu mettre Balinaud à l’avion et racheter un téléviseur neuf dans la case du nouveau directeur d’agence.”
“Et à part ça ?” demanda Vogel.
“A part ça ? Rien. Cela ne vous suffit pas ?”
Cela lui suffisait même si cela ne faisait pas non plus avancer l’enquête. Il insista :
“Qui a été au courant de cette histoire ? Parce qu’apparemment il y a eu des fuites.”
“Tout le monde ou presque. Cela a été un gros scandale.”
“Et chez les Français ? A part vous et les gens du consulat.”
“Tout le monde, je vous dis. En dehors du circuit classique des "gens bien informés", il y avait le VSN qui l’a accompagné jusqu’à l’avion à Libreville, un certain Laclou ou quelque chose de ce genre, qui nous fatiguait parce qu’il avait épousé la fille de je-ne-sais-plus-qui. Dominique Lapierre ? Jean d’Ormesson ? Un type qui écrit.”
“Louis Lannois ? L’académicien ?”
“Oui, ce doit être cela. Je n’ai jamais rien lu de lui ni des autres mais c’est possible.”
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