TOURISME

Domaine du Val d’Argan

13 avril 2020


A Ounagha, localité située à une trentaine de kilomètres d’Essaouira, se déploie sur 52 hectares ce lieu aussi incroyable qu’à priori improbable au Maroc. Qui aurait pu, en effet, imaginer possible qu’une production aussi délicate et spécifique qu’est celle des vins de la Vallée du Rhône puisse un jour croître et prospérer sur un terroir qui n’était d’abord qu’un gigantesque tas de pierrailles ?

Rien d’étonnant pour le coup à ce que les spécialistes du genre surnomment le domaine du Val d’Argan l’exception viticole marocaine.

Quand souffle le chergui

Un défi d’autant plus compliqué que Charles Mélia, l’initiateur et propriétaire de cet atypique domaine, a dû faire face dans le même temps aux conditions climatiques propres à la province d’Essaouira où il a choisi de s’implanter voilà plus de deux décennies. Un climat certes doux de manière générale, mais pas forcément favorable à ce type d’agriculture en raison de canicules calcinant régulièrement les récoltes et la présence de vents parfois violents comme les alizés et le chergui [1], avec pour résultat des rendements pouvant varier de 7 à 30 hectolitres à l’hectare ! Mais il en fallait bien davantage pour dissuader ce fils et petit-fils de propriétaires vignerons d’aller jusqu’au bout de son rêve ...

Une affaire familiale

C’est en 1994 pour être précis, que s’amorce le "Il était une fois" de ce domaine dont la configuration paysagère paraît sortir droit de la Toscane. Bien que natif de Casablanca où il avait suivi de brillantes études de Droit, Charles Mélia avait quitté le Maroc et rallié la France afin de seconder son père qui dirigeait le domaine de la Font du Loup à Courthézon (Châteauneuf du Pape) acheté en 1942 par son grand-père. Lequel aïeul, né en Algérie et soldat pendant la première guerre mondiale, s’était ensuite installé au Maroc pour se consacrer à l’agriculture et à l’élevage tout en pratiquant le négoce en gros de céréales, où il s’est éteint à l’âge vénérable de 98 ans.

Le Maroc pour passion

Pourtant, si le métier de viticulteur/producteur l’enthousiasme, la douceur de vivre chérifienne lui manque. Germe alors l’idée d’y opérer son retour en emportant dans ses valises les cépages du Rhône et du Midi pour les acclimater, avec pour point de chute spécifique la province d’Essaouira. Après épierrage du sol, creusement de puits et construction de la cave, il commence alors les premières plantations afin, explique-t-il, "de créer ex nihilo un vignoble totalement inédit pour le Maroc".
Les donnes climatiques de la région l’amènent, en plus d’un arrosage goutte-à-goutte bref mais fréquent, à mettre en place un système naturel et peu onéreux pour protéger les raisins. En l’occurrence, de planter du sorgho, dont les feuilles conservent la fraîcheur même en cas de forte chaleur, et de recouvrir les grappes de paillages végétaux, branches d’eucalyptus, de mimosas ou d’oliviers.

Goliath à la tâche

Avec pour point d’orgue sur le chapitre “outil” de production 100% bio, la présence d’un dromadaire d’un gabarit impressionnant prénommé fort à propos Goliath. "En France, les vignerons bios utilisent des chevaux de trait pour labourer le vignoble. C’est ce qui m’a donné l’idée de recourir à un dromadaire ” explique le maître des lieux. Si le grand Goliath n’a, paraît-il, pas bon caractère, ce travers lui est amplement pardonné en raison du travail colossal qu’il abat en tractant un soc traditionnel qui retourne la terre, là où les tracteurs ne passent pas.

L’épicurisme dans tous ses états

25 ans plus tard, avec un restaurant panoramique (la cheffe d’origine souirie Rahma aux pianos) et une maison d’hôtes (Le riad des Vignes) en prime, pas moins de 13 cépages y sont cultivés pour la production de vins rouges, blancs, rosés et gris. Grenache, Sirha, mourvedre, Marseillan, muscat noir, côté des rouges. Clairette, bourboulens, ugni blanc, roussanne, grenache blanc, viognier, muscat de Beaumes-de-Venise, côté des blancs. Cerise sur le tonneau : très amateur d’art, Charles Melia donne depuis maintenant plusieurs années carte blanche aux nombreux artistes de talent qui vivent dans la région et forment ce que les critiques appellent "l’école d’art naïf d’Essaouira” pour exprimer leur point de vue sur le nectar de Bacchus. Seule obligation : utiliser pour support de création les fûts servant à abriter les productions du domaine. Autant de visions poétiques, baroques, surréalistes ou fantasmatiques, à découvrir dans une sorte de galerie à ciel ouvert aménagée dans un espace spécifique.

Bon sang ne saurait mentir

Pionnier et unique producteur "made in Morocco" de cépages de la Vallée du Rhône, et seul à être certifié en agriculture biologique, Charles Mélia n’a à priori guère de souci à se faire sur le chapitre de la transmission puisque 2 de ses 3 filles ont décidé de suivre son sillage. L’aînée, Anne-Charlotte, dirige aujourd’hui le domaine de La Font du Loup tandis que la seconde, Emmanuelle, basée sur Marrakech, assure la distribution des vins du Val d’Argan [2], pour majeure partie au Maroc, mais également aux États-Unis. Une plutôt jolie réussite par rapport à une filière viticole marocaine plutôt modeste, qui recense aujourd’hui environ 6.500 hectares de vignes [3] et emploie aux alentours de 20.000 personnes.

Philippe Dayan

[1Au Maroc, le chergui est un vent chaud venant du Sahara. C’est une des formes du sirocco

[2165.000 bouteilles produites chaque année pour un chiffre d’affaires annuel de l’ordre de 1,4 million d’euros

[37,5 millions d’hectares de vignobles cultivés dans le monde

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