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Chrétien fanatique contre Musulman modéré ?

3 janvier 2011


Alors que la situation en Côte d’Ivoire parait s’enliser, il est peut-être temps de revenir sur la dimension religieuse des affrontements entre Gbagbo et Ouattara. On entend régulièrement les partisans du premier accuser le second d’être un islamiste fanatique, surfant ainsi sur la peur d’Al Qaida et des attentats qui frappent les milieux chrétiens d’Orient. Le point sur un paradoxe.

Toute l’Afrique de l’Ouest est traversée par une partition religieuse : le christianisme prédomine au sud, dans la zone forestière, alors que l’islam est très majoritaire au nord, dans le Sahel. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si cette tension en Côte d’Ivoire se produit en même temps que le retour d’affrontements au Nigéria.

Relents de xénophobie

Difficile alors de résister à la tentation de présenter Ouattara comme un fondamentaliste musulman cherchant à chasser le christianisme du pays, même s’il appartient à cette tradition des élites musulmanes qu’on appelait à l’époque coloniale les « marabouts cognac », ceux qui boivent de l’alcool en public et sont ouverts sur l’Occident. Autre détail qui n’en est pas un : Alassane Ouattara a épousé une Française de religion juive et dès qu’il a voulu se présenter contre Gbagbo, en 2000, le slogan « Dehors le Mossi et et sa Juive ! » a fleuri sur les pancartes des "patriotes", comme l’écrit Christian Bouquet [1]. « Mossi » signifiant dans l’esprit de certains sudistes « Burkinabè », donc étranger, même si Ouattara appartient à la famille royale de Kong, dans le nord de la Côte d’Ivoire.

Notons au passage que cette modération et cette ouverture d’esprit en font bien sûr une cible de tous les fanatismes. Mais cette stigmatisation arrange les partisans de Gbagbo qui sont, pour beaucoup d’entre eux, des fondamentalistes chétiens, influencés et financés par les évangélistes américains. En effet, si, à l’origine, Laurent Gbagbo était proche des milieux maçonniques et laïques français, la conversion de sa femme Simone à l’évangélisme l’a rapproché à son tour d’un courant qui a fait de l’Afrique un terrain de combat contre l’islam.

Retour à la magie

Cet antagonisme nord-sud, musulman-chrétien, a favorisé du côté chrétien une sorte de renaissance des pratiques magiques dans la tradition africaine. Stephen Ellis [2], par exemple, a montré l’importance du Poro dans la guerre civile au Libéria, l’initiation masculine secrète d’Afrique de l’ouest. Il a dénoncé notamment les rites barbares imposés par Charles Taylor à ses jeunes miliciens. En 2001,Taylor a d’ailleurs déposé une plainte en diffamation contre le politologue britannique avant de la retirer de peur d’être poursuivi pour crime contre l’humanité s’il se rendait à Londres…

Les tensions communautaires religieuses présentent de multiples formes dont la plus baroque, et la plus apparemment comique, est de loin la rumeur des «  voleurs de sexe ». Partie du Nigéria en 1997, elle s’est répandue dans toute l’Afrique de l’ouest, en passant par le Togo et la Côte d’Ivoire : elle consistait à accuser les musulmans de serrer la main des non-musulmans sur les marchés, soit pour faire disparaître totalement leur sexe, soit pour les rendre impuissants. Cette rumeur a malheureusement entrainé des lynchages comme le raconte l’anthropologue Julien Bonhomme [3]
Symptomatiquement, au Sénégal où la majorité est musulmane, la rumeur s’est retournée contre les chrétiens, au Darfour, contre les Juifs et au Gabon, tout dernièrement, contre les étrangers...

[1Géopolitique de la Côte d’Ivoire,2005, p.54

[2The Mask of Anarchy, 1999

[3 Les Voleurs de sexe. Anthropologie d’une rumeur africaine, 2009

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