ENGAGEMENTS

Administration chérie

29 février 2012

Bénévolat, bonne volonté, gentillesse, engagement, altruisme... Comment tuer dans l’œuf de jolies idées généreuses. Récit d’une tentative honnête.

Rendez-vous pris au Enfants de Noël, l’association qui s’occupe de faire décorer des sapins pour les services pédiatriques des hôpitaux par des enfants des cités. J’ai rendez-vous avec Franck Besamemucho, un bénévole charmant qui a fait le siège de mon bureau depuis des semaines pour que je parle de cette initiative dans l’Echo des Moineaux, le webzine où je pige. La CCCP [1] prête un hangar non loin de l’Aquaboulevard, là où devrait s’élever le futur et orgueilleux Pentagone à la française.

Je me perds un peu entre les tours et de bizarres édifices des années 60 en béton. C’est dans l’un d’eux que m’attend Franck qui m’emmène aussitôt derrière, dans l’ancien garage à autocars. Les sapins sont là, entourés de nuages d’enfants qui s’affairent comme autant d’essaims de guêpes. Je vais dégainer mon appareil photo mais Franck m’en empêche.
“Non, viens d’abord saluer l’équipe du CCCP. C’est important, nous sommes chez eux.”

Et nous voilà dans des couloirs classiquement jaune pipi et vert commissariat.
“Salut Besamemucho, ça va ?”
“Oui, je voulais vous présenter Sabine. Sabine, je te laisse expliquer…”
Je raconte avec un grand sourire à quel point je suis ravie d’écrire sur cette si jolie initiative d’Enfants de Noël, dans les locaux de la CCCP.
En face de moi, les visages se contractent. Je soupçonne vaguement le crime de lèse-majesté.
“Besamemucho, tu en as bien parlé à Nadège Berlue-Lamontagne ?”
“Non, non ! Pourquoi ?”
“Mais parce qu’il te faut une autorisation et pour l’obtenir, il faut passer par le service de la Com qui transmet à madame Berlue-Lamontagne.”
Les visages se tournent à nouveau vers moi :
“Madame Berlue-Lamontagne dirige le CCCP. Et vous n’avez pas le droit d’être dans ces locaux sans son accord. C’est comme ça pour la presse. ”
“Très bien, je vais appeler madame Berlue-Lamontagne”, dis-je avec mon entrain des grands jours.
“Ah mais non, ce n’est pas comme ça que cela se passe. Il faut faire une demande à l’avance, donc pour aujourd’hui c’est impossible. Dommage que vous soyez venue pour rien.”
“On ne peut pas simplement la mettre au courant ? De toutes façons ce que je vais écrire va être très positif pour l’image de la CCCP : Noël, les sapins, les enfants hospitalisés et ceux des cités, c’est formidable.”
“Oui, mais non ! Ce n’est pas possible. Il faudra que vous reveniez quand vous aurez l’autorisation de Nadège Berlue-Lamontagne.”


Franck me jette un œil hagard. Dernier effort de conciliation.
“Bon, on va faire ça : je prépare le papier et j’attends pour le faire paraître d’avoir l’autorisation. Maintenant que je suis là et les enfants aussi, ce serait dommage…”
“Non, non, ce n’est pas possible. L’autorisation doit passer par les différents bureaux. Monter et redescendre. C’est un peu... hiérarchisé chez nous. Cela va prendre à peu près un mois, ou un peu plus, et ensuite vous vous mettez d’accord avec la directrice du centre pour un rendez-vous.”
“Et les sapins de Noël m’auront attendu en janvier ?”

Agacée par les regards de souris prises au piège de ces adultes vaccinés et en âge de voter, je retourne au hangar avec Franck qui ne sait que dire.
“Ecoute : je vois les enfants, je prépare tout. Tu enverras un mail à Laberlue et on bricole ça a posteriori.”

Les enfants sont enchantés. Ils ont eu un goûter et fabriquent des guirlandes en papier crépon et feuilles d’aluminium. Il y a des bombes de peinture dorée pour décorer de grosses pommes de pin. Les bénévoles essaient de canaliser les fortes têtes. L’ancien garage sent la sève de sapin, c’est parfait.

A partir de là, Steve Pham va passer sa fine silhouette par la porte toutes les 7 mn et je vais répondre un « oui oui » plein d’onction à chaque demande :
“Sabine, je vous ai sorti le règlement interne qui stipule que…”
Le document fait une vingtaine de pages et parle de télévision.
“Sabine, il faudra que vous rencontriez madame Berlue-Lamontagne.”
“Franck, viens, nous avons réussi à joindre Nadège, elle veut te parler et à la journaliste aussi.”

« La journaliste » c’est toujours mauvais signe. C’est la marque d’un fossé infranchissable entre les gens sérieux qui ont des responsabilités et les guignols insouciants dans mon genre.
On y va : les six fonctionnaires de la CCCP nous attendent, scrutateurs et apeurés, serrés autour du téléphone comme des scouts à la veillée. La seule qui s’autorise à sourire est une stagiaire : elle ne connait pas encore le pouvoir de la terrible Nadège Berlue-Lamontagne. En fait, cette dernière ne désire pas me parler. Elle tance Franck comme s’il avait cinq ans. Les autres évitent mon regard.

Finalement, vers 17h 30, je m’en vais avec ce qu’il faut pour faire un papier sympathique sur l’association, sur les enfants et même sur la CCCCP ! Le lendemain, Franck m’appelle et me raconte qu’à mon départ, les six quinquagénaires de la CCCP l’avaient sermonné :
“Mon petit Besamemucho, nous ne vous en tiendrons pas rigueur cette fois-ci mais la journaliste ne devait pas rester ! Vous auriez dû la mettre dehors ! Nous allons essayer d’arranger cela avec Nadège”.

Je pense que nous aurons notre rendez-vous avec Berlue-Lamontagne dans sept semaines. Les sapins seront transformés en compost et ce sera un peu tôt pour Pâques… dommage !

[1Caisse Centrale des Contribuables Perdus

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