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Maraude avec la Croix-Rouge
3 octobre 2011
Paris la nuit, c’est le Paris des SDF avec sa violence, ses passages à tabac, ses addictions, sa folie… Ils seraient 8000, selon l’INSEE, avec une majorité d’hommes mais on n’en parle que l’hiver lorsque l’un d’eux meurt de froid. Nous avons suivi une maraude de bénévoles de la Croix-Rouge dans le Ve arrondissement où il n’y a pas que des bobos malgré ceux que l’on rencontre le jour.
20h 30, le second groupe de « maraudeurs » quitte le local de la Croix-Rouge du Ve arrondissement. Le premier qui va tourner vers Saint-Michel et les quais est déjà avec deux SDF qui attendaient devant la porte de l’immeuble pour un peu de café, des rasoirs peut-être et surtout de l’attention.
Misère d’ici et d’ailleurs
Nous allons sillonner Mouffetard, Censier, la Montagne Sainte-Geneviève où les sans-abri sont, aux dires de Max, plutôt des habitués. L’équipe elle est très jeune et chacun a sa raison d’avoir rejoint les bénévoles de la Croix-Rouge : l’un a vu la misère en Inde, la misère quotidienne d’un continent qui en a l’habitude. L’autre revient des USA où la misère est cachée, rejetée en périphérie. Le troisième est un sympathique fêtard rattrapé par la conscience de l’autre. Celle-ci était sage-femme pour Médecins du Monde au Congo, celle-là est étudiante et fait un stage dans le quartier… Flotterait-il un léger parfum d’idéalisme ? Oui, et cela fait du bien.
L’équipe est vêtue d’une sorte d’uniforme mastic et rouge, couleurs de la Croix-Rouge et porte des sacs avec thermos de soupe, celui de café est resté au local parce qu’il est si vieux qu’il fuit, des tablettes de chocolat, des conserves, des kleenex et quelques vêtements… il ne s’agit pas de « distribution » mais d’engager la conversation, offrir de l’écoute et dépanner.
Zéro, la fin de la route
Une joyeuse bande de clients du Bombardier, le pub à côté de Saint-Etienne-du-Mont est installée sur le trottoir. Il fait beau et la nuit est douce. Arrivés rue Lacépède, nous trouvons un homme affalé sur une bouche d’air très chaud. Max s’approche et s’accroupit pour être à sa hauteur : « Bonsoir Monsieur ! Ça va ? » Grognement inaudible. La consigne est de ne pas réveiller les SDF l’été car il est difficile de s’endormir dans la rue mais lui ne dort pas vraiment et Max ne le connaît pas. Visage envahi par la barbe et regard plus que flou. La bouteille à côté de lui explique la voix pâteuse, on apprendra que c’est la quatrième de la journée, mais l’accent est anglais. Il ne se souvient pas de son nom, ou ne veut pas le dire. Trop de « sex, drugs and rock’n’roll » comme il le bafouille lui-même, l’ont mené à Amsterdam, Berlin, Barcelone, Rome et d’autres étapes envolées dans des rêves de plus en plus confus, et finalement sa route à la Kerouac l’a laissé sur ce bout de trottoir. L’équipe le met en garde contre les bouches d’air chaud qui provoquent régulièrement d’affreuses brûlures. Il boit la soupe et raconte la guitare qu’il a perdue et son amour pour David Bowie, Jimi Hendrix et Jethro Tull. Après l’avoir quitté, Max téléphone à la coordination pour signaler ce nouvel arrivant qui s’appellerait Zéro.
Echec à Censier
Parmi les problèmes rencontrés lors des maraudes, les chiens. Laure se souvient encore d’une énorme bête qui les avait coursés. Là nous arrivons à Censier. Devant une des portes de la fac, six SDF ont l’air de somnoler : « Bonsoir Pierre, ça va ? » Un grand type au physique à la Cavana se lève et un chien s’approche. « Vous pouvez le tenir s’il vous plait ? ». La discussion s’engage tant bien que mal. Pierre se méfie de la journaliste parce que TF1 est passé et qu’ « ils ont touché beaucoup d’argent, 10 000 € ». L’argent fait parti des fantasmes classiques dans la rue : Untel touche 5000 € d’alloc. On ne sait qui a reçu quelle somme mais la mauvaise humeur est là. Tout à coup, l’une des ombres se lance dans des imprécations contre la journaliste. « Bitch ! Va dans les centres d’hébergement faire ton enquête. On dort à 500 les uns sur les autres. » On sent que les autres, y compris Pierre, se seraient bien pris une petite soupe mais la violence de leur compagnon annihile tout rapprochement et la Croix-Rouge s’éloigne, sécurité de l’équipe oblige.
Le couple des Patriarches
Le couple qui nous attend devant le gymnase des Patriarches nous remet un peu de baume au cœur : Mary et Serge sont attendrissants. Elle dort, totalement ivre dans son sac de couchage, tandis qu’il bavarde avec nous, ravi de la distraction ; « Vous n’avez pas d’appareil photo ? Moi, on a fait mon portrait, il est exposé rue de Rivoli. Le photographe m’a donné 10 € ». Il se moque des policiers du Ve dont il pense qu’ils sont choisis parce qu’ils ont un QI de 50. Il se moque aussi des gens qui lui demandent pourquoi ils dorment dehors. "Pourquoi on ne rentre pas chez nous ? J’ai perdu la clef » éclate-t-il de rire. Laure propose de la soupe et Mary sort de sa léthargie, comme par miracle. Soupe ? Mary qui travaillait aux télécoms dans l’armée britannique et qui a été bûcheron au Canada sort de sa brume. Serge la regarde, fier d’elle. Ils sont ensemble depuis 5 ans et quand ils ont un peu d’argent de côté, ils touchent plus ou moins le RSA, ils se font un ciné ou un McDo si on leur a donné un ticket restau, mais c’est de plus en plus rare. « Un McWrap » articule Mary. Serge pérore, intarissable, et Mary lève les yeux au ciel, implorant on ne sait qui…
A SUIVRE
Autrefois marauder signifiait piller sans autorisation pour des soldats et la maraude était le vol de denrées, synonyme de vol, chapardage, fauche.
Le taxi en maraude est le taxi qui circule en quête de clients, sans stationner.
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