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86 Pommiers de discorde
11 septembre 2011
En faisant le tour de la demeure, ils imaginaient la touffeur dégagée par les radiateurs ouverts à fond, les moquettes épaisses cachant les tommettes, les canapés couverts de chintz fleuri, les rideaux et doubles-rideaux, les chambrières, les juponnages et finalement le petit cabinet calfeutré. Ils arrivèrent à l’endroit où elle avait décidé de faire construire une serre à orchidées. Derrière la haie d’aubépines et de fusains, on apercevait les pommiers attaqués par le gui et la mousse qui tendaient au ciel chargé leurs branches tordues.
“Et les pommiers ?” demanda Beaudoin. “Ils continueront à donner le cidre du curé à tout le village ?”
“Oui. Plus que jamais. Je me souviens, ce pauvre Marcel, il avait dit qu’il la tuerait si elle les coupait. Nous, on pensait tous comme lui, mais on disait pas. Mais lui, c’est vrai qu’il était simple et il disait.”
“Elle n’avait pas peur de narguer tout le pays ? Après tout, ce n’était qu’une femme et vous êtes tous plutôt du genre costaud. ”
Lelièvre secoua la tête d’un air dégoûté :
“Oooh, on n’est pas des méchants et je crois qu’elle aimait ça au contraire. Montrer qu’elle était la patronne. La plus forte. Que nous on était des moins que rien et que, le Marcel avec ses muscles, il devait obéir et arracher les pommiers lui-même”.
“C’est Marcel qui devait le faire ?”
“Oui.”
“Mais pourquoi a-t-il accepté ? Personne ne pouvait l’obliger.”
“Pas moi, en tout cas. Mais peut-être qu’il y avait autre chose… Le Marcel, il la trouvait belle, avec ses pots de peinture sur la figure et ses cheveux en plastique.”
Aucun des deux policiers ne jugea utile de certifier que les cheveux étaient, sinon "naturels", du moins pas du plastique. Ils l’imaginaient, ébloui par tant de sophistication. Elle se montrait, un peu, beaucoup, il le leur dirait peut-être un jour, et il rampait. Celle qui se prétendait la petite protégée des Greffuhle s’amusait à exciter une gentille brute de Moisillon-les-Moustiers qui avait fini par la tuer parce qu’elle l’avait humilié une fois de trop, cherchant à le blesser comme elle avait toujours si bien su le faire, là où ça faisait le plus mal. Au verger du presbytère.
“Je ne sais pas si vous le retrouverez, le Marcel. Son cousin a dû le laisser dans un endroit tranquille. C’est une famille de marins de Fécamp, pas du genre bavards Ils restent des mois sur leur bateau. Ils ne vous diront rien”, conclut-il en les raccompagnant à leur voiture.
A Fécamp, personne dans les cafés du port ne connaissait Marcel Blain. La casquette d’inscrit maritime enfoncée sur le crâne, c’était à celui qui en savait le moins sur "la Françoise", le chalutier du cousin.
“Je hais la Normandie. Je hais la campagne. Je hais la pluie,” maugréait Beaudoin, tandis que Vogel marchait d’un pas allègre le long des quais luisants.
“Ecoute, l’enquête est finie, ce n’est pas si mal. Maintenant, c’est à Interpol de mettre la main sur Blain et nous, nous tapons nos rapports.”
L’idée de devoir se mettre à l’ordinateur le ramena à Alex et au journal.
“Il va falloir annoncer tout cela au groupe Saunders.”
“Ils l’apprendront par l’AFP,” ricana Vogel qui n’avait pas encore pardonné aux journalistes leur vocabulaire à la mode et leurs mots d’esprit.
“Je crois que ce serait gentil d’aller le dire aux filles de sa rubrique, non ?”
“Tu as raison : tout cela suait tellement l’amour qu’il faut agir avec délicatesse. Vas-y si tu veux, elles seront enchantées, vu le nombre d’hommes qui entrent dans ce gynécée mais ne compte pas sur moi pour t’accompagner !”
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