85 L’amateur de lupins

8 septembre 2011

Il se tut, apparemment décidé à s’arrêter là.
“Oui mais, pourquoi l’a-t-il tué ?”
“Aucune idée. Il faut lui demander. Mais c’est pas de chance : il doit être au milieu de l’océan pour l’instant,” conclut-il avec un rien de sarcasme dans la voix.
“Ecoutez, Interpol, ça existe et on peut parfaitement le faire cueillir à Terre-Neuve ou Saint-Pierre-et-Miquelon,” déclara Vogel agacé.“ J’imagine que vous connaissez l’adresse de son cousin ?”
“Il est à Fécamp. Il a le même nom. C’est dans le Minitel, non ?”
Voyant qu’ils n’obtiendraient rien de plus pour l’instant, ils décidèrent d’aller faire un tour au presbytère et lui demandèrent de les accompagner. Le temps était humide et glacé, et personne ne trainait dehors à cette heure-ci. Tous remontèrent le col de leur manteau.
“Frisquet, hein ?”
“C’est dur le matin avec le brouillard.”
“Vous avez beaucoup de chantiers, là ?”
“Non, pas grand-chose. C’est pas la saison.”

Ils continuèrent à marcher dans le froid, leur pas résonnaient dans le village désert. Quand ils parvinrent au chemin qui menait à la fameuse grille, Vogel hasarda :
“Et pour le presbytère, vous faites quoi ?”
“Rien.”
Mais il ne put s’empêcher d’ajouter :
“Rien mais on laisse la grille ouverte, comme avant.”

En entendant les rires complices des policiers, il demanda ce qui lui brûlait les lèvres depuis leur arrivée.
“Et le vieux, il va comment ? Il est mort ou pas ?”
“Il est pas mort mais il ne reviendra plus jamais ici.”
“Oui, il est bien vieux et c’était surtout sa maison à elle. Mais qui va la reprendre ?”
“Je ne sais pas. Cela m’étonnerait que les enfants viennent. Cela sera mis en vente, j’imagine.”

Ils passèrent la grille, largement ouverte en effet, et remontèrent l’allée vers le bâtiment.
“En tous cas, on ne touche plus à rien. Ni à la vigne-vierge. Ni aux lupins. Elle trouvait ça "commun". Les lupins qui viennent ici avec des hampes de fleurs de toutes les couleurs, elle trouvait ça "commun". Ils poussaient comme de la mauvaise herbe, il n’y avait qu’à les discipliner un peu, c’était superbe. Mais non, c’était "commun". Pauvre Marcel. Il souffrait trop avec elle.”


Vogel émit un petit grognement de commisération, juste de quoi encourager les confidences mais pas assez de quoi replonger Lelièvre dans son mutisme à l’égard de Parisiens, policiers qui plus est.
“Il aimait tant les fleurs. Il souffrait quand il fallait les arracher. Il demandait leur grâce, pied par pied. "Et ce rose-là, madame, on pourrait le garder." Elle criait "Obéissez, je vous dis. Je ne veux plus de ces fleurs pour concierge !" Il insistait "Et si on en mettait derrière la haie, du côté du verger ?". Finalement, il récupérait tout et replantait où il pouvait. Il en a mis chez tous les gens du village.”

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