58 A l’ombre de Velléda

10 juin 2011

Il n’avait aucune idée de l’emplacement de la statue de Velléda mais partit au pas de course vers le jardin. La pluie avait cessé et, en remontant la rue Bonaparte, il se trouva d’une audace stupéfiante. Elle avait ri et avait accepté. Et pas parce qu’il était un flic. Elle avait peut-être aussi envie de se promener dans les feuilles rousses.
En passant les grilles, il commença à scruter les statues. La première sur la droite était un homme luttant visiblement pour s’extirper d’un mur de pierre, à l’abri d’un arbre immense, envahi de lierre. Il n’avait pas d’image précise de Velléda mais il ne l’imaginait pas comme ça, qui qu’elle fût. Il longea l’Orangerie, parvint devant un bassin où un moustachu se faisait adorer par quelques nymphes. Pas de Velleda non plus. Finalement devant le Sénat, il put demander son chemin à un gardien qui, après bien des hésitations, lui indiqua une allée en retrait du côté du boulevard Saint-Michel.


“Velléda est une statue de femme aux cheveux longs. Pas la plus connue du Luxembourg. Les amoureux préfèrent la fontaine Médicis en général.”
Beaudoin hésita à lui répondre sèchement qu’il était de la police et qu’il ne s’agissait en rien d’un rendez-vous amoureux. Mais il se ravisa. Il n’avait pas à se justifier devant ce petit rondouillard couperosé et s’en fut à grandes enjambées, inquiet qu’elle ait changé d’avis, qu’il soit en retard et qu’elle soit déjà repartie vers ses parents, ses enfants. Curieusement, il ne parvenait pas à penser "son mari".
Il dépassa le kiosque à musique, la grande allée qui menait à la place Edmond Rostand et trouva enfin Velléda, une longue femme songeuse, comme il sied à une prophétesse. Alex n’était pas là. Il essaya de ne pas s’angoisser, agacé de ne savoir que faire pour avoir l’air naturel. Sourire béatement appuyé au socle de pierre ? Arpenter l’allée mouillée ? Il se décida à aller au devant d’elle, les mains dans les poches, décontracté comme il se doit.

Il l’aperçut quand il parvint dans l’alignement des allées de l’Observatoire. Elle lui sourit de loin puis baissa le regard vers les enfants qui faisaient du tricycle sur l’allée de béton. Elle semblait plus lointaine à mesure qu’elle approchait et il se dit qu’elle était sans doute aussi surprise que lui de ce rendez-vous impromptu. Quand enfin, ils se firent face, elle lui tendit une main gantée de rouge. Elle lui sourit d’un air un peu incertain :
“Drôle de temps pour une promenade, non ?”
“Pas tant que ça. J’arrive de la rue du Caire... Marcher m’aide à réfléchir.”
“Alors réfléchissons !” dit-elle en se dirigeant vers le grand bassin.

Avec le maximum de calme, il glissa sa main dans le creux de son bras. Comme elle semblait n’y prêter aucune attention, il se dit qu’elle était habituée aux hommages masculins ou que c’était une de ces manies de la presse où tout le monde s’embrasse et s’appelle "chéri" avec des idées de meurtres au fond du cœur. Après avoir été soulagé de son flegme, il lui en voulut presque. En fait, il ne comptait pas plus pour elle qu’un de ses copains pédés. En fait, elle trouvait amusant de séduire un flic.
“C’est moi qui vous mets dans cet état ?” demanda-t-elle tout à coup.

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