57 Rendez-vous au Luxembourg

8 juin 2011

Les arcades du Palais-Royal le conduisirent doucement vers les guichets du Louvre puis vers la Seine. La rive gauche lui sembla tout à coup extrêmement précieuse avec ses rues étroites bordées d’antiquaires et de galeries. Il avait envie d’en connaître les impasses tranquilles, les porches s’ouvrant sur des cours plantées d’hortensias, les heures de grâce où le soleil se couche sur la coupole du Val-de-Grâce et enflamme les chrysanthèmes du Luxembourg. Il voulait marcher dans les feuilles craquantes et rousses des marronniers avec Alex, persuadé que, là-bas, la boue n’en faisait pas un magma collant. Il se demanda ce qu’elle dirait s’il l’appelait : laisserait-elle tourner son répondeur sans décrocher ? Et si elle répondait, ce ne serait que parce qu’il était de la police. Il détestait qu’elle puisse ne voir en lui qu’un "flic", promesse d’ennuis si elle n’obtempérait pas. Arrivé à Saint-Germain-des-Prés, il s’engouffra dans le drugstore et monta aux cabines téléphoniques, craignant de se retrouver sous ses fenêtres sans y prendre garde. Mieux valait encore débiter une vague platitude sur son répondeur. Celui-ci, curieusement, n’était pas branché et il entendit presqu’immédiatement
“Oui ?”
Elle avait un ton absent et il comprit qu’elle était déjà en ligne, c’était pour cela qu’il était passé au travers du barrage.
“Beaudoin, je peux vous parler ?”
Il l’imagina en train de sourire :
“Je suis en ligne, vous pouvez rappeler dans cinq minutes ?”
Cinq minutes plus tard, elle était toujours au téléphone mais cette fois, elle raccrocha pour le prendre.

“Désolé de vous interrompre dans votre travail,” hasarda-t-il.
“Tout va bien... Parlons de travail, comment va le vôtre ?”
Après avoir répété la scène dans sa tête une vingtaine de fois en craignant les pires rebuffades, il se trouvait en train de bavarder avec Alex comme si rien n’était plus naturel au monde.
“Compliqué. Nous n’avons pas été très bien compris sur l’histoire des archives de Lannois. Ou trop bien.”
Mais brusquement, il se souvint des récits de Laetitia :
“J’ai appris que vos parents étaient à l’hôpital, vont-ils mieux ?”
“Qui vous a dit cela ?”
“Votre amie Laetitia et les autres.”
“Bien, bien... Ils vont aussi bien que possible dans la mesure où ils ont été opérés et qu’ils n’ont plus vingt ans. C’est pour ça que vous appeliez ?”
Il s’en voulut immédiatement d’avoir arrêté le badinage car, maintenant, il lui fallait trouver une excuse.
“Non, en fait non. Je voulais savoir comment vous alliez puisque je ne vous voyais plus au bureau. Vous nous avez bien aidé à comprendre certains aspects du monde de la presse et cela ne s’oublie pas.”
“Et Vogel me fait parvenir une boite de chocolats pour me remercier ?”
“Non. C’est juste moi qui avais envie d’aller faire un tour aux allées de l’Observatoire.”
Elle éclata de rire et demanda simplement :
“Quand ?”
“Maintenant ? Je suis à Saint-Germain-des-Prés.”
“Dans dix minutes devant la statue de Vélleda,” conclut-elle d’un ton sans réplique et raccrocha.

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