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59 Baiser de glace
14 juin 2011
“C’est moi qui vous mets dans cet état ?” demanda-t-elle tout à coup.
“Quel état ?” aboya-t-il, surpris par sa propre voix rauque.
“A votre avis ?”
Elle le regardait maintenant droit dans les yeux et il vit les petites taches dorées dans les pupilles grises. Il baissa le regard vers ses lèvres aux commissures légèrement retroussées. Presque douloureusement, il la prit dans ses bras au pied de Marguerite d’Anjou et écrasa sa bouche contre la sienne comme un noyé cherche de l’air. Elle ne réagit pas, inquiète de la violence de Beaudoin et imaginant dans l’instant toutes les complications à venir, à commencer par le rouge à lèvres bavant jusqu’au menton. Il lui arrivait de détester l’effet qu’elle produisait sur certains hommes et commença à essayer de se dégager.
Il la lâcha instantanément, redoutant une insulte ou une gifle. Il n’eut droit qu’à un regard glacial :
“La prochaine fois, je ne vous dérangerai pas dans vos réflexions. Repartons à zéro, voulez-vous ? Et trouvons un sujet innocent : comment va l’enquête ?”
Rien ne fut pire que la fin de la promenade. Jamais il ne put croiser à nouveau son regard, elle fixait l’horizon d’un air agressivement absent et quand ils se séparèrent, il partit furieux d’avoir tout gâché.
Après une première partie de trajet plutôt monotone, la route qui les menait à Moisillon-les-Moutiers se mit à serpenter entre des collines boisées et Beaudoin dut admettre que cette ballade à la campagne avait du bon. L’air chargé d’humidité embrumait les sommets des arbres les plus haut perchés mais, vu de l’intérieur bien chauffé de la voiture de fonction, le paysage était extrêmement poétique et changeait agréablement de la pollution qui asphyxiaient les rues étroites du Sentier.
Malgré ces bonnes dispositions, il était encore meurtri de sa dernière entrevue avec Alex et ne pouvait s’empêcher de faire des plans pour rattraper sa maladresse alors que les villages aux toits de tuiles défilaient, serrés à flanc de coteaux autour d’églises trapues. Ce qui l’avait le plus humilié était le manque de réaction de la jeune femme : elle ne s’était pas fâchée, elle l’avait trouvé importun pour ne pas dire franchement ridicule et son regard las rappelait plus celui d’une mère exaspérée par les bêtises d’un enfant que celui d’une femme que l’on vient d’embrasser. Ensuite elle avait pris garde à éviter tout mot équivoque, comme pour effacer ce qu’elle considérait comme un épisode fâcheux. Il la ferait changer d’avis dût-il lui faire la cour comme il ne l’avait jamais fait à personne. Elle viendrait à ses rendez-vous et perdrait son sang-froid.
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