5 La succession est ouverte

4 février 2011

Il était onze heures quand Alex arriva. Le calme était revenu dans la salle de rédaction où étaient regroupées les rubriques d’“art de vivre” des différents titres du groupe. Saunders s’était taillé la part du lion dans la presse magazine et professionnelle où il avait imposé les pages shopping qui rapportaient beaucoup de pub, donc beaucoup d’argent. Toute la profession avait commencé par froncer le nez de dégoût mais, devant le succès, tous finissaient par y venir.

Deux petites pièces tout au bout étaient réservées aux “Boutiques”, beaucoup plus basses de plafond car elles appartenaient à l’immeuble voisin. Le groupe était propriétaire du pâté de maisons, reliées entre elles par de curieux couloirs et demi-étages. Elle y trouva Claudine, la secrétaire, qui tapait des textes sur l’ordinateur, Ginette qui fumait nerveusement, comme un futur père attendant la naissance de son premier et Marie Bouillot, les yeux rougis et le nez brillant. Pour une journaliste, cette dernière avait un curieux physique de chaisière et Alex l’appelait au choix “l’Œil de Moscou” ou “la Voix de son Maître” puisqu’elle était, sans aucun doute possible, la créature de Lucile. Les paupières baissés, elle écoutait, insinuait et répétait. Alex lui jeta au passage le regard que l’on réserve aux créatures blêmes qui vivent sous les rochers humides.
Marie renifla :
“C’est affreux, non ?”
Alex résista à la tentation de répondre “non” et se contenta de soupirer d’un air convaincu. Après tout, Marie devait être la seule à regretter Lucile sans qui elle n’aurait jamais écrit une ligne hors de la feuille paroissiale de St Ferdinand-des- Ternes.

Ginette explosa en la voyant :
“La police va venir ! Et le numéro doit être bouclé. Marie-Caroline m’a téléphoné personnellement pour me le dire : elle compte sur moi. Tu peux m’aider à relire les textes parce qu’il ne faut pas se faire d’illusions, si ce n’est pas fait, cela va me retomber dessus. C’est ma responsabilité !”
“Que dit Jeanne ?”

Jeanne Riguidel était coordinatrice de toutes les rubriques art de vivre du groupe.
Marie-Caroline l’avait nommée dans l’espoir, toujours déçu, de contrôler Lucile mais, avec le temps, Jeanne avait fini par se faire manipuler elle aussi et personne ne savait plus qui elle servait, en dehors d’elle-même. Depuis son arrivée deux ans plus tôt, l’atmosphère était passée de raisonnablement pénible à franchement exécrable.

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