LIVRES

Touche pas à Burke !

21 mars 2021

Pour finir cette page de reprise d’un genre particulier puisque Le Monde comme il va l’a consacrée en entier aux romans policiers, voici un petit coup de gueule, un agacement…

Dans une de mes bibliothèques favorites, j’ai découvert un roman policier mongol. Mongol de Mongolie.

Direction Oulan-Bator

Cette particularité m’a évidemment attirée et je me suis empressée d’emprunter Yeruldelgger de Ian Manook. Peu au fait de l’actualité mongole, je me suis plongée avec délectation dans ce récit qui commence à Oulan-Bator et continue dans les steppes du Khentii et la région des Flaming Cliffs ! Plus exotique tu meurs ! Le héros est donc Yeruldelgger Khaltar Guichyguinkhen, commissaire de police à Oulan-Bator qui enquête sur le meurtre d’industriels chinois et celui d’une petite fille aux boucles blondes enterrée avec son tricycle ! L’histoire et le cadre sont extrêmement dépaysants avec des descriptions de la vie des nomades, sur leur survie dans un milieu hostile et ce livre m’a beaucoup plu.

Manook Ian

Dans mon enthousiasme, j’ai emprunté la suite et là, déception. Pourquoi ? Un je-ne-sais-quoi d’irréel dans les mots, dans les images, une sorte de redite, comme le placage d’une histoire sur du vide. Il n’y avait rien de nouveau, c’était plutôt une reprise, une réarrangement des mêmes thèmes…et j’ai laissé tomber, ce qui m’arrive rarement. Du coup je suis allée sur Google et j’ai découvert alors que ce mystérieux Ian Manook que je rêvais mongol était français et s’appelait Manoukian, Patrick Manoukian. Pourquoi pas même si la magie s’envolait à tire d’aile. Mais bravo pour Yeruldelgger qui a reçu un nombre de récompenses incroyable !

Bayou et zydeco

Avec le confinement, toujours en quête d’auteurs dont je n’ai pas épuisé l’œuvre, je tombe sur Freeman de Roy Braverman. Sur la quatrième de couverture, il est question de bayou, de jambalaya et de zydeco avec cette mention "il y a du James Lee Burke dans ce Braverman-là". James Lee Burke, je connais très bien, j’ai à peu près tout lu en version originale et j’ai beaucoup aimé aussi Tommy Lee Jones qui joue le rôle de Dave Robicheaux dans le film de Bertrand Tavernier, Dans la brume électrique qui rendait fidèlement l’atmosphère très spéciale à la Burke !

Trop

Première page, cela se passe sur le Bayou Teche avec une description très typée Burke d’une tornade, d’alligators monstrueux, de bidets qui s’envolent, du monstre qui vagit et du sicaire qui hurle. On y croise des sacs-à-lait, les poissons du bassin d’Atchafalaya, on y voit le vieil Omer, on boit de la bière Jax, en dégustant des "po’boy" sandwiches et on s’appelle "podna". Sans parler des mots cajuns… Stop ! Ce n’est pas supportable ! Ce qui est une merveille d’écriture chez James Lee Burke avec les évocations les plus poétiques et parfumées de cette nature folle de Louisiane, est ici un gros plagiat indigeste : comparaisons lourdingues, descriptions interminables et humour éléphantesque.

Pastiche

Complètement dépitée, je me dis que c’est le traducteur qui s’est fourvoyé pour faire du Burke au lieu de respecter Braverman.
Première surprise : nulle mention de traduction. Deuxième surprise mais pas vraiment : Braverman est l’autre pseudo de Patrick Manoukian et tout s’éclaire brusquement. Voici un pastiche de James Lee Burke, une imitation servile de ce qui est inimitable. Tout est trop, trop long, trop gras et Manoukian n’aurait pas dû s’attaquer à Burke dont le style est un enchantement. On suit Robicheaux et son pote Clete Purcel sous les arbres immenses d’où tombent des mousses espagnoles, on sent la terre mouillée, le bayou qui attend la tempête, les fleurs qui croulent sur la façade de sa maison. Je devine que Patrick Manoukian a une facilité d’écriture incroyable et qu’il laisse ses doigts courir sur le clavier, presque en écriture automatique, que les mots s’enchaînent et s’enlacent et qu’il est difficile de résister à ce flux tumultueux.

Mais je ne lirai donc jamais au-delà des 70 premières pages.

"Dans la Brume électrique" avec Tommy Lee Jones

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