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Véronique Geoffroy

22 novembre 2015

Véro Geoffroy, (i.e. Véronique Geoffroy de Bourgies) et moi étions « copines », et consœurs. Nous avions toujours plaisir à nous retrouver ici, là, n’importe où car c’était une promesse de fous-rires à la moindre vanne, ce qui était un peu notre mode de fonctionnement.

Je l’ai connu à Madame Figaro, magazine de Marie-Claire Pauwels à l’identité forte (je dis ça parce qu’il est devenu le clone de plein d’autres). C’était veste autrichienne une semaine sur deux, interview du professeur Lejeune une sur trois, et « Les Triplés » toutes les semaines ! Trente ans plus tard, ils n’ont pas pris un centimètre et je redoute un rare triple cas de progeria.

Shoppings et Cie

Bref, Véro était là avec son magnifique sourire. Dans mon souvenir, elle s’occupait de « pages shoppings » en tant que maquettiste d’abord et ensuite comme rédactrice. Les pages en question sont celles dont on dit qu’on ne les lit pas, surtout quand on fait profession d’être un peu intello, mais que l’on dévore. On y trouve tout ce dont on n’a pas besoin : la dernière Reverso de Jaeger-LeCoultre, le comble du sobre et chic alors, on ne rêvait pas encore de diamants ou de strass ; les escarpins impeccables et pas de stiletto meurtriers et toujours un machin hors de prix signé Hermès. A l’époque j’écrivais dans une improbable rubrique qui s’appelait « Le Pense Pas Bête », PPB pour les intimes, sous les ordres d’une improbable Colette qui ne levait jamais son phénoménal fessier de son fauteuil à roulettes. Le PPB était le succès absolu de Madame Figaro : des notules assez plates avec des micro-photos moches sur les boutiques qui ouvraient. Les lectrices y faisaient la queue dès le vendredi pour les abonnées, et samedi c’était la folie. Véro est venue rejoindre l’équipe et, très vite, est devenue la spécialiste rando-grand-air-sport.

La reine de l’outdoor

Nos chemins se sont séparés quand j’ai quitté Madame Figaro mais elle a continué à creuser son sillon « great outdoor » : « je teste la dernière tente de camping au Cap Nord », « je teste la nouvelle formule de week-end parapente-tartiflette-sangria ». Bref elle était de tous les canyoning, tous les parachutes ascentionnels, tous les sauts à l’élastique, tous les trucs casse-cou que j’évitais soigneusement ! Elle est passée à l’Equipe Madame me semble-t-il, a écrit des guides sur les « sports nature » et les « raids ». On se voyait régulièrement, toujours avec le même plaisir, certaines de passer un bon moment. Parce Véro riait beaucoup et fort.
Nos derniers contacts ont été sur Facebook. J’avais mis une photo de Louise Vigée-Lebrun et elle a commenté « C’est exactement toi ! » ou quelque chose dans ce genre. J’avais aussi mis en ligne une vidéo de la Canadian team de patinage synchronisé. Je lui ai proposé de commencer une « team » à deux et elle m’a répondu : « je préfère les disciplines sur la terre ferme ».

Merci Alain Mikli

Mais notre dernier fou-rire homérique s’est tenu dans le restaurant « Dans le Noir », rue Quincampoix. Alain Mikli, l’un de ceux qui a mis fin aux lunettes- prothèses designées Sécurité Sociale, proposait aux journalistes de voir la vie « en noir », comme les aveugles (Non, je ne dirai pas « non voyant »). Il nous invitait donc dans ce restaurant où l’on mange dans le noir le plus complet, le plus obscur, le plus profond, le plus… noir. Pas une ombre, pas une silhouette, pas un reflet, rien. On ne voit ni sa chaise, ni la table, ni sa main, rien de rien. Véro et moi nous étions retrouvées dans l’entrée, amusées et vaguement stressées mais on espérait encore deviner quelque chose. On a pénétré dans on-ne-sait-quoi, une salle à manger sans doute, une pièce colmatée de rideaux noirs, opaques. On nous a menés à des chaises et on a commencé à explorer le bord de la table, un couvert, une assiette. Encore ne fallait-il pas confondre sa fourchette avec celle du voisin et sa serviette avec la jupe de la voisine.

Stress

C’est une expérience inoubliable presqu’aussi déroutante que de débarquer seul au Japon sans parler un mot de japonais. Aucun repère que des voix. On tend la main et on plonge dans la vinaigrette. Au toucher, ce serait des tranches de tomates ? On nous passe des plats. Je refuse le vin. Véro accepte, elle ne craint pas les taches ou alors elle est surdouée. Elle n’est pas surdouée et renverse partout, ça clapote sur la nappe de plastique et on rit. Bizarrement, les conversations se font de plus en plus fortes, il paraît que c’est normal, pour compenser le fait d’être privé d’un sens. On glousse, on rit, le volume monte. Les mêmes douces voix qui surgissent de partout nous demandent de baisser le volume mais il n’y a rien à faire. On passe au plat principal et je calcule mal mon coup et nappe mes doigts de sauce chaude. J’attrape un morceau de viande molle un peu atterrée par ma maladresse et je ne sais plus où la poser. Sur les genoux du voisin ? Dans l’assiette de Véro ?

Maman j’ai peur

Je continue de plaisanter, sans doute pour me rassurer car l’expérience est dérangeante mais Véro se tait peu à peu. Elle ne fait plus de bruit depuis quelques minutes quand brusquement, elle m’attrape la main : « il faut que je sorte, je me sens mal ! ». Je suis à sa droite et Domino, un autre journaliste, est à sa gauche. On lui prend chacun un bras et on se lève. On essaie d’attirer l’attention des serveurs, mais il y a un tel brouhaha que personne ne nous entend. On essaie donc de fuir, on s’agrippe à des rideaux, cela permet d’essuyer la sauce figée sur les mains et finalement, on triche, on ouvre nos portables le temps de comprendre où est la sortie. On se fait morigéner mais on s’en fout : là, il y a le jour, le soleil même et Véro s’installe sur un haut tabouret de bar et boit un Perrier. On se regarde éblouies de retrouver le monde des voyants. Et Véro se met à rire d’elle-même, soulagée.
Elle qui n’avait pas peur des sports extrêmes, avait peur du noir. C’était Véronique Geoffroy de Bourgies, Véro pour moi, mi-risque-tout, mi petite-fille.

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