METIER

Le blues de l’illustratrice

10 février 2013

Illustratrice freelance, je travaille depuis 5 ans avec des crèches et des entreprises, faisant des logos, des décors, des cartes. Récemment, j’ai décidé de contacter l’édition jeunesse, pour varier mon activité et augmenter mon revenu. Petit récit d’une désillusion.

Tout d’abord, il faut savoir qui contacter, et comment. Les maisons d’édition, il n’y en a pas tant que ça, et même moins que ce que l’on croit puisque la plupart font partie des mêmes grands groupes comme Fleurus, Bayard et les autres.

Prise de contact

Je téléphone. Au standard, on me dit d’écrire. J’envoie un portfolio par courrier, on m’envoie un mail pour me dire d’envoyer un mail. J’envoie un mail. « Pourquoi n’avez-vous pas écrit ? ». Une fois ces malentendus dissipés, quand ils le sont et dans le meilleur des cas, on me fait la grâce d’un rendez-vous. Une fois sur vingt, ou une fois sur dix.
Mais aujourd’hui, la vie est belle, Popi Dugas, directrice artistique des éditions Taran, m’a appelée d’elle-même pour me dire qu’elle adorait mes dessins qui étaient « charmants » et que c’était trop rare aujourd’hui, le charme ! Elle est enthousiaste et moi je suis sur un nuage.

Question de style

Première surprise à ce rendez-vous tant attendu : « Ah, oui, un portfolio ! Mais ça ne se fait plus, vous ne saviez pas ? Tout est en ligne maintenant. » Ajoutant tout de suite après : « Quelle tristesse internet : les gens ne se parlent plus et ne se voient plus. » Oui, ceci explique cela.
Le rendez-vous avec Popi Dugas va se passer exactement comme celui avec Bambi Lamotte de chez Napier quelques semaines plus tôt : « Oui, oui, vous pouvez travailler avec nous, mais il va falloir complètement changer de style ! » Pourquoi ? Parce que j’ai de gros problèmes.

Florilège

1) Je dessine.
« J’aurais pu vous faire travailler il y a 10 ou 20 ans, mais le dessin, c’est fini. ».
2) Je dessine TROP BIEN.
« Vous dessinez trop bien pour une illustratrice. Vous avez beaucoup de talent. Vous avez un niveau supérieur à celui qu’on recherche. »
« Quand on voit votre travail, on se dit que vous savez dessiner. Ça ne va pas : quand on voit quelqu’un qui ne sait pas dessiner, on se dit, ah oui, voilà un illustrateur. »
3) La preuve par le lapin.
« Vous voyez, là, par exemple, votre lapin ressemble à un lapin. Eh bien, il faudrait qu’il ne ressemble pas à un lapin. C’est ça, que nous recherchons. C’est très difficile, de ne pas bien dessiner, vous savez, cela demande un gros travail de recherche. » Oui et puis c’est sympa pour apprendre les animaux aux enfants.
4) Je ne suis ni designer ni styliste.
« Nous prenons des illustrateurs à la sortie de l’école de design. Souvent, comme on n’a pas assez de travail pour eux, ils travaillent en plus dans le textile, ou la papeterie. Vous devriez essayer. Vous pourriez par exemple vous inspirer de votre chapeau pour créer des personnages. »
Des personnages à motifs tyroliens ?
5) Je n’ai pas l’œil.
« Et elle, vous voyez, elle fait des choses tellement rigolotes, ses poussins, elle les fait avec une tête carrée, vous voyez comme cela change de celui-ci qui fait des têtes rectangulaires ? » Révolutionnaire, non ?
6) Je suis trop vieille avec mes 30 ans passés.
« Vous voyez cette illustratrice ? Elle a 21 ans, elle est formidable. On ne fait plus travailler au-delà de 40 ans, ni illustrateurs, ni graphistes. C’est bizarre, ils ont du mal à comprendre qu’ils ne sont plus à la mode. »
« Ah, regardez, celui-ci est complètement daté : c’est un livre de 2006 ».
Et toi Popi, pas encore euthanasiée ?
7) Vous ne travaillez pas beaucoup au numérique, et c’est sans doute la vraie raison de tout ce discours : les illustrateurs qui travaillent en numérique permettent à l’édition de faire des économies en supprimant l’étape du scan, la gestion des originaux et les coursiers qui vont les chercher.

Mercaptan n°5

Alors au "Monde comme il va", on a essayé de faire des lapins et on a un vrai talent dans le ratage : nos lapins ressemblent autant à une valise qu’à un puma, à des kangourous qu’à un vélo !
Maintenant imaginons ce discours dans d’autres branches d’activité !
Dans la cuisine : mais non, c’est BON ce que tu fais. Oublie !
Dans la parfumerie : on veut des parfums qui puent. Tu as senti ce "Mercaptan" ? Plus tendance qu’"Haleine de Rat", non ?
Dans la couture : Totalement has been ta robe en forme de robe, Coco, va chez Damart !
Dans la médecine : Vous voulez un médecin qui soigne ?
A Houston : Une navette spatiale qui revient ? Ils aiment pas Alpha du Centaure nos astronautes ?

Le cheval qui ressemble à un tabouret a les honneurs de Taran, le bébé et la petite cavalière sont de notre illustratrice, bien sûr.

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