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La Malaisie des Orang Asli
15 octobre 2012
Un reportage en Malaisie est une bonne nouvelle quand on est journaliste et photographe car il est des lieux qui, plus que les autres, font rêver. Tad et moi avons suivi deux fois les traces de Somerset Maugham, Stefan Zweig et Joseph Conrad.
Tout d’abord, il faut savoir que Singapour et Kuala Lumpur ne sont que d’énormes métropoles qui cherchent à rivaliser avec Dubaï, Doha et Shanghaï. La plus haute tour. L’hôtel le plus luxueux. La piscine à débordement la plus bleue. Mais ça, on ne le sait qu’après y être allé. En revanche, leurs aéroports débordant de buissons d’orchidées, remplissent de honte les Français qui viennent de quitter Roissy, sa crasse et son amiante qui volette…
Là où se croisent les vents
Le mystère est ailleurs, dans cette jungle suffocante, dans ces métissages improbables, dans cette fureur qui s’abat parfois sur les hommes et les rend fous, amok. La Malaisie ou « la terre où les vents se croisent », la Malaisie entre l’Océan Indien et la mer de Chine, la Malaisie et ses pirates embusqués, non plus pour piller les jonques chargées de bois précieux et d’épices, mais pour les porte-containers et les plates-formes de forage remorquées jusqu’au large de l’Afrique.
Enivrés par les souvenirs de Parameswara, prince de Sumatra, par l’amiral Cheng Ho, grand eunuque de l’empereur Ming et par Alfonso d’Albuquerque, conquistador portugais, Tad et moi avons pagayé sur le lac Chini et la rivière Pahang, fait des concours de sarbacane chez les Orang Asli [1], parcouru les rues de Malacca et les collines plantées de théiers de Cameron Highlands, dégusté la cuisine de rue à Ipoh et fait la sieste dans les jardins de Taiping…
La folie amok
Mais nous avons aussi été dévorés par les moustiques et les araignées et toutes sortes de bestioles buveuses de sang : au bout de quelques jours mes jambes avaient nourri tout le monde et les démangeaisons étaient si intolérables que j’étais à deux doigts de tomber « amok » à mon tour ! J’ai peut-être percé le secret de cette folie furieuse décrite par Zweig : des chevilles enflées et des mollets scarifiés !
Notre chauffeur, Jamal, me voyant souffrir, nous arrêta un jour sans prévenir sur une piste détrempée dans un creux de vallée. Il faisait sombre, le ciel était lourd de nuages et les arbres dont les sommets se perdaient dans la brume, obscurcissaient les bords de la route. Peu à peu, des ombres se dessinent et des hommes petits, un pagne autour des reins, s’approchent avec des paniers. Jamal me dit qu’ils ont des remèdes faits de plantes pour des plaies comme les miennes. Bien que les démangeaisons me donnent des nausées, je regarde avec suspicion les petits hommes. Tad me convainc de descendre du 4x4 « pour voir ». L’air poisseux se plaque à nos corps mais j’accepte de marcher pour voir ce que ces Orang Asli ont à me proposer. La transpiration coule de nos paupières, de nos genoux, de tous ces endroits sans glandes sudoripares reconnues par la faculté ! La terre colle aux semelles qui, pas après pas, s’alourdissent.
Onguent et potion
Finalement, après une assez longue marche, derrière le tronc d’un rotin hérissé d’épines, un vieillard au turban sale est assis à côté d’une planchette couverte de feuilles qui semblent renfermer des onguents. Tad remonte le bas de mon pantalon et lui montre mes jambes. Le vieux opine, pose sa pipe, va fouiller dans une besace et m’enduit d’une pâte sans un mot. A ce moment-là, une fraicheur incroyable m’envahit. C’est divin et je remercie la Providence qui m’a envoyé ce petit rebouteux Orang Asli.
« Jamal, dis lui que je veux acheter de son produit ».
Jamal traduit, me donne un prix, ridicule, et le vieux file avec son argent entre les troncs serrés. Au bout de 10 mn je me dis qu’il s’est bien moqué de moi et qu’il est parti avec mes ringgits boire à la santé des Blanches qui croient n’importe quoi. Cette idée me fait assez rire dans la mesure où les démangeaisons ont disparu jusqu’à nouvel ordre. Jamal me fait signe de ne pas m’impatienter et finalement, le vieux revient avec sa potion.
Il me tend, toujours sans un mot, une boite de carton impeccable avec des caractères malais. A l’intérieur un tube de crème neuf sur lequel est écrit d’un côté en malais et de l’autre en anglais « Banal Balm, Analgesic cream ». Fabrication allemande.
Il ne m’a jamais quitté depuis.
Photo de Tasik Chini de Patrick Delance
[1] "hommes des origines" en malais est le nom sous lequel on désigne les populations aborigènes
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