PSYCHO

Sauve qui peut !

2 septembre 2012

Sauveurs ou sauvés ? Mary C. Lamia et Marilyn J. Krieger, psychologues cliniciennes et psychanalystes américaines se penchent sur le Syndrome du sauveur, dans un livre paru aux éditions Eyrolles, avec ce sous-titre «  Se libérer de son besoin d’aider les autres ». Le Monde comme il va a demandé son avis à un psychiatre français, le docteur Daniel Nollet [1] .

Tout d’abord, les auteurs sont des spécialistes de grande expérience, ce que la bibliographie à la fin confirme : c’est du solide. Cependant les lecteurs seront peut-être déroutés par le coté très américain de ce « self help book », comment s’en sortir soi-même, qui s’appuie sur des études de cas souvent interminables et très confuses : "les chapitres 5, 6 et 7 qui mélangent les histoires des différents protagonistes est incompréhensible."

Tous des tyrans

L’autre problème, souligné par Daniel Nollet est que, selon Mary C. Lamia et Marilyn J. Krieger "tout altruiste est un tyran en puissance », ce qui est un peu troublant surtout dans un pays où la fraternité est inscrite aux frontons des édifices. Si l’on accepte le principe que personne ne porte secours pour autre chose que son propre intérêt, que reste-t-il de la générosité, de l’abnégation prônées, entre autres, par la religion catholique ? Saint Vincent de Paul ne cherchait donc qu’à panser ses anciennes blessures d’enfant ? MSF est un repaire d’égoïstes qui, en fait, ne pensent qu’à eux ? On comprend bien ce qui peut y avoir de maladif chez un « sauveur compulsif », celui qui ne peut s’empêcher d’aider mais toute aide est-elle le déguisement séduisant d’on ne-sait-quelle pathologie ? Tout pas vers son prochain cache-t-il un calcul ?

Réducteur et stigmatisant

Il semble que la vérité soit plus subtile malgré le désir des auteurs de rassurer le lecteur sur ses capacités à s’en sortir tout seul. D’abord, évitons les catégories réductrices du genre, d’abord il y a l’hyper empathique, puis l’humilié et enfin le terrorisé. "L’usage du singulier est d’ailleurs le péché mignon des psychanalystes qui affectionnent de parler de "l’hystérique", de "l’obsessionnel", du "pervers" alors que la réalité est infiniment plus complexe et qu’il existe tout un continuum psychopathologique." Parlons plutôt de comportements et chacun peut être tour à tour sauveur et sauvé. Quant aux "sauveurs sains" donnés en exemple, l’un d’eux sombre dans l’alcoolisme ce qui n’est guère encourageant !
La rubrique de fin de chapitre, « Faites le point », amuse notre psychiatre par son côté « boite à outils psychologiques » et il s’interroge sur ce nouveau concept d’ « agentivité », cette capacité d’être l’auteur, l’agent, de ses actes, credo de base de la société américaine traditionnelle.

Des couples sains ?

Quand on l’interroge sur ce qu’il pense du syndrome du sauveur, Daniel Nollet se demande ce que devient alors ce lien qui unit les couples, hétérosexuels comme homosexuels ? Peu échappent aux relations de dépendance affective et/ou matérielle, et à l’altruisme donc, cela signifie-t-il que tous reposent sur des relations perverses ? "Certes les psychanalystes n’ont pas l’habitude de soigner des enfants de chœur. Mais il manque vraiment les bonnes relations chaleureuses et bienveillantes qui caractérisent quand même beaucoup de couples stables. Et pourquoi se limiter aux hétérosexuels ? "
En revanche il trouve que le vrai danger de la dépendance dans une relation n’est pas assez mise en évidence : la plupart des personnalités maltraitées sont des personnalités dépendantes qui se choisissent des relations avec des tourmenteurs.

Alors à lire ou pas ce Syndrome du sauveur ? Pourquoi pas, certain(e)s "trouveront leur miel" dans les conseils qui y sont donnés mais la réalité est tout de même nettement plus complexe. Daniel Nollet conclut "Il ressort de cette lecture un sentiment de tristesse : ça manque d’optimiste. Pourtant sauver c’est une belle chose : regardez Mère Térésa !"
La Rochefoucauld écrivait déjà au XVIIe siècle : "Les vertus se perdent dans l’intérêt comme les fleuves se perdent dans la mer". Concis et affreusement clair, non ?

Photo Patrick FORGET

[1co-auteur avec Quentin Debray de Les personnalités pathologiques. Approche cognitive et thérapeutique, 6ème édition chez Elsevier Masson

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