73 La pute de Mr Hyde

1er août 2011

“Vous ne savez peut-être pas que c’est lui qui l’a déflorée puis initiée à toutes ses perversions. Elle aurait dû n’être qu’une petite provinciale à qui on fait des bébés. Une femme de pharmacien. Mais le futur académicien avait des pulsions incompatibles avec la vie qu’il se préparait. Il garda sa femme et ses enfants pour son image et Lucile pour le reste. Cette grosse fille maladroite est devenue la pute de Mr Hyde, l’esclave sexuelle d’un pervers de sous-préfecture qui attendait de monter à Paris. En contrepartie, il l’a imposée partout, il lui a trouvé un métier mais il pouvait. Elle a payé très cher pour être chef de la rubrique Boutiques. Elle a payé très cher pour finir Madame Lannois avec ses bijoux trop gros, ses tenues ridicules et sa coiffure kitsch.”
“Pourquoi ne partait-elle pas ?” s’aventura Beaudoin, jusqu’ici silencieux.
“Qu’avait-elle ailleurs ? Que pouvait-elle espérer ? Elle l’a aimé vraiment. Ce n’est pas s’aventurer dans la haute psychologie que de penser qu’elle se cherchait un père. Elle ne m’a jamais parlé du sien sauf pour inventer un de ses fameux contes à dormir debout. Il ne devait pas être fameux celui-là, et Lannois l’a remplacé. C’était papa gâteau et papa fouettard. Elle ne pouvait le quitter sous peine de se retrouver avec un aller simple pour Lamotte-Beuvron ou Montpont-Menestrol. Et puis... vous ne vous êtes jamais demandé pourquoi en trente ans elle n’avait jamais eu d’enfant ? Lui a continué à en faire à sa femme.”
Devant leur mutisme circonspect, il continua avec rage :
“Il l’a fait avorter et sous prétexte qu’elle avait d’importants problèmes de circulation, avec des risques de phlébite, il l’a poussé à se faire ligaturer les trompes. Stériliser quoi ! Vous trouvez que ce n’est pas assez payé pour ce boulot de merde où tout le monde la méprisait ?”

Un long silence suivit. Beaudoin se souvint du père assassiné à Tegucigalpa ou ailleurs, dont Alex disait qu’il devait faire la traite des Blanches. Ce fut Vogel qui récupéra le plus vite et revint au vif du sujet
“Et vous ? Il ne vous a pas défloré je pense ? Il n’est pas votre papa incestueux ? Vous n’attendez pas qu’il vous fasse un bébé ?”
Beaudoin crut que Balinaud allait s’effondrer en sanglots et lui aussi, non qu’il éprouvât la moindre sympathie pour l’homme mais parce qu’il n’en pouvait plus. Cette journée lui avait apporté plus que sa dose d’émotion, de colère et de sordide. Il voulait du repos. Il allait partir pour la côte aquitaine, il marcherait entre dunes et océan, seul avec le cri des mouettes et le hurlement du vent dans les pins. Les embruns et les rafales laveraient toute cette crasse, toute cette peine dont il commençait à entrevoir la profondeur. Il détestait ces confidences douloureuses, ces visages convulsés de honte ou de chagrin et n’avait aucun désir de savoir ce que Lannois savait sur Balinaud pour l’obliger à se travestir en bourreau minable et à pousser des râles grotesques. L’amour ne pouvait être cela. Ce ne pouvait être non plus une cage d’escalier au tapis élimé. Il revoyait les yeux brûlants d’Alex et voulait lui parler tout de suite, essuyer ses larmes, caresser ses cheveux. Où était-elle maintenant ? Au bureau ou en train de faire des crêpes ?

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