55 Alex disparait

3 juin 2011

L’enquête entra dans une période de latence : Vogel et Beaudoin qui avaient beaucoup misé sur l’hypothèse Saunders se retrouvaient, non pas tout à fait au point de départ, mais dans une incertitude ennuyée. Rien ne leur prouvait que Saunders n’avait pas chargé quelqu’un de tuer Lucile tandis qu’il était entre la Guadeloupe et Paris. Il était même assez peu vraisemblable qu’il soit venu lui-même trucider la dame mais le dossier leur avait été retiré et ils n’avaient pas d’autre choix que de chercher ailleurs.
Ils vérifièrent à nouveau les emplois du temps, recoupèrent les alibis, firent des visites rue du Caire où la situation n’évoluait pas non plus. Chacune continuait de s’agiter mais la question de la succession de Lucile restait en suspens, peut-être parce que la préparation des numéros de Noël ne permettait pas de remaniement sérieux.
La seule différence notable était la disparition de Alex Lombard. Beaudoin se garda de la mentionner, très conscient de ce qu’une question à son sujet déchainerait de commentaire mais c’est Laetitia, la gentille commère aux paupières turquoise qui lui souffla, comme si elle avait senti son interrogation muette :
“Pauvre Alex ! Elle traverse une bien mauvaise passe. Ce n’est vraiment pas de chance, surtout, à cette époque de l’année où l’on prépare les numéros de Noël, les plus gros. Elle va se faire piquer tous ses papiers par les autres.”


Beaudoin eut immédiatement la vision d’une Alex sous sédatifs dans une clinique psychiatrique, l’opposé exact de sa dernière apparition au coin des allées de l’Observatoire. Pourquoi fallait-il qu’elle soit si fragile ? L’enquête lui avait-elle fait du mal sans qu’il s’en soit rendu compte ? Elle avait l’air prête à tout encaisser, à écarter les gêneurs d’un geste désinvolte, lui y compris. Elle l’avait parfois aidé, parfois chassé comme une mouchette importune, passant de la gentillesse à l’indifférence agacée parce qu’il ne comprenait pas assez vite ou qu’il semblait la soupçonner.
Dehors, la pluie brouillait la vue sur les cours intérieures de ces anciens beaux hôtels transformés pour la plupart en stock de robes d’été en hiver et réciproquement. On devinait derrière les carreaux presque opaques de crasse des rouleaux de tissus à fleurs, à pois, à rayures. Les crêpis n’étaient jamais refaits et la peinture s’enroulaient comme des parchemins poussiéreux le long des fissures. Les toits de zinc luisaient d’un éclat bleuté, assortis aux nuages bas, assortis à son moral.
“Où est-elle ?” finit-il par demander.
“Elle court d’un hôpital à l’autre, vous pouvez vous en douter. Ses deux parents opérés en même temps, vous parlez d’une malchance. Je crois qu’ils vont plutôt bien mais Alex est très occupée.”
Une bouffée de soulagement l’envahit et il réprima un franc sourire à l’idée que personne ne l’avait transformée en zombi. Elle courait, comme toujours, même si c’était du chevet de son père à celui de sa mère. Il se hasarda à demander quand elle reviendrait et Laetitia prit son air pieux pour dire qu’Alex avait demandé qu’on ne la dérange pas avant qu’elle ne donne signe de vie elle-même. On pouvait mettre des mots sur son répondeur. Marie Bouillot qui tapait un texte hocha de la tête avec componction. Ce n’était pas un de ces jours où elle faisait des allusions vipérines aux charmes de sa consœur tant le malheur des uns fait toujours le bonheur des autres et les rend délicieusement inoffensifs.

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