39 Samedi au Luxembourg

24 avril 2011

Elle se leva pour aller à sa rencontre :
“Je ne me lasse jamais de cette fontaine. Et on a enfin restauré les petites tortues de bronze qui avaient perdu leur tête. Vous voulez que l’on marche ou vous préférez bronzer sur un banc ?”
Beaudoin essaya de l’imaginer avec Lannois et se mit à sourire.
“J’ai dit un truc drôle ?”
“Non, non... Enfin, si, marchons. J’aime parler en marchant.”

Les marronniers perdaient leurs dernières feuilles et l’allée disparaissait sous un épais tapis bruissant qui sentait l’humus. Alex semblait ravie de s’enfoncer jusqu’aux chevilles dans le matelas roux.
“Où étiez-vous ce matin ?” se décida-t-il à demander.
“Au lit.”
“A 10h, vous étiez au lit ?”
“Oui et à 11h aussi.”
“Vous passez vos matinées au lit ?”
“Non, seulement le samedi matin. Je me lève avec les enfants, prends mon petit-déjeuner puis je me recouche et me rendors. Je récupère de la semaine.”
“Et ce matin aussi ?”
Alex le regarda en riant :
“Pourquoi Lucile a ressuscité le troisième jour, conformément aux Écritures ? Elle s’est échappée avec ses hérissons ?”
Beaudoin eut un vague haut-le-cœur en se souvenant du corps de Lucile.
“Il n’y a rien de très drôle là-dedans. Que vous n’aimiez pas Madame Delarue est une chose mais croyez-moi, sa mort n’était pas un spectacle réjouissant.”
Elle redevint sérieuse et s’excusa :
“Je suis désolée. C’était votre premier cadavre ?”
“Comme ça, oui.”
“Vous savez, pour moi, ce n’est rien. Je ne sais pas ce que c’est en vrai. Je lis quelques polars par-ci par-là mais c’est tout...”
Ils marchèrent en silence jusqu’aux grilles du Luxembourg, attentifs à ne pas interrompre la réflexion de l’autre. Finalement, elle se décida :
“Pourquoi vouliez-vous me voir ?”
“C’est compliqué. J’ai besoin que vous m’aidiez. Vous connaissez parfaitement le milieu, pas moi. Vogel non plus. Il y a sans doute des choses qui nous troublent et n’ont aucune importance réelle. C’est peut-être la règle du jeu dans le journalisme...”
“Vous faites allusion à cette habitude bien ancrée chez la défunte de se faire rincer ?”
“"Rincer" ?”
“C’est le mot qui désigne cette façon de faire le tour des popotes, de relever les compteurs... cette corruption si subtile qui faisait vivre Lucile dans un semi-orgasme permanent. Elle aurait mis autant d’énergie à travailler, chanter, rêver, aimer, elle aurait été phénoménale. Mais son but était d’amasser et il ne restera d’elle qu’un fatras hideux où s’empilent les hérissons d’agate et les plus effroyables invendus des couturiers. Mais je vous rassure, toutes les journalistes ne sont pas comme ça. Lucile était célèbre pour sa rapacité dans tout Paris. ”

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