22 Tortu ou Boucheron ?

15 mars 2011

“Lucile recevait des cadeaux ou elle les extorquait ? On la remerciait ou on la payait ?”
Pour la première fois, Alex montra de la gêne : tout le monde était au courant dans le métier mais personne n’aimait en parler à l’extérieur.
“C’est à la fois simple et compliqué. Les cadeaux offerts aux journalistes, c’est un peu comme ce qu’une femme peut accepter d’un homme : vous me payez à déjeuner, je ne me sens pas redevable de quoi que ce soit. Vous m’offrez des fleurs ou des chocolats, non plus. Vous m’achetez un gros caillou chez Boucheron, ou même un petit...”
Elle espérait qu’il allait conclure lui-même mais il insista :
“Oui ?”
“Il va falloir que je couche avec vous, à un moment ou à un autre. C’est le début d’autre chose. Peut-être d’un grand amour mais peut-être de la prostitution. Je ne sais pas exactement où se situe la frontière mais on sent très bien quand on la passe. Pour les cadeaux, c’est pareil. Je fais un papier sur une boutique ou une marque. je reçois des fleurs, des chocolats ou une bricole quelconque, c’est gentil. C’est une façon de remercier, de dire que l’on est content du papier, qu’il a bien marché” ...
“Cela vous arrive ?”

“Bien sûr, même si beaucoup sont prêts à vous proposer tout leur stock avant la parution et qu’une fois que c’est fait, ils oublient jusqu’à votre existence. Ils vous téléphonent vingt fois à l’avance pour vérifier que vous n’avez pas oublié de mentionner qu’ils vendaient aussi des chaussettes en mérinos lavande et ensuite ils ont perdu votre numéro.”
“Vous n’avez jamais reçu de gros cadeaux ?”
“Un bouquet de Christian Tortu est un gros cadeau quand on connait le prix du brin d’herbe griffé ! Mais mon papier a peut-être fait faire de très grosses ventes. Cependant, je ne me suis jamais laissée acheter si c’est cela que vous voulez savoir. Je n’ai jamais fait un papier contre quoi que ce soit et j’aime à croire que c’est le cas de la plupart des journalistes.”
“La plupart ?”
Alex pesait ses mots. Elle n’avait appris que très récemment que certaines consœurs se faisait "rincer" dans les boutiques et le sujet ainsi que sa naïveté continuaient à la mettre mal à l’aise.

Un jour d’hiver froid et pluvieux, elle avait dû remplacer Lucile dans sa tournée bisannuelle des grands joailliers de la place Vendôme et des alentours. Il s’agissait de préparer le numéro spécial “Fête des Mères” et Lucile ne laissait jamais ce soin à qui que ce soit. Pas plus que le numéro de Noël consacré, lui aussi, aux bijoux. Cette paresseuse invétérée extirpait son énorme cul de son fauteuil deux fois par an pour ces seules occasions. Alex n’avait jamais tiré de conclusions de ce miracle. Elle imagina seulement que c’était pour le plaisir de voir des bijoux de princesse. Et les essayer peut-être.

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