SANTE

Garantie 0 % de matière grasse

8 septembre 2010

Et si on parlait du “gras” comme nous y invite Georges Vigarello, dans son dernier ouvrage Les Métamorphoses du gras. Histoire de l’obésité [1] ? Dans une société qui chérit les femmes light et la peau sur les os, cette savante promenade nous rappelle qu’il fut un temps où il ne faisait pas bon être maigre…

Sur la couverture, Alessandro del Borro [2] nous jette un regard vaguement provocateur, genre “Je suis gros, et alors ?”. Et alors il est riche et puissant et ses kilos ne font que renforcer son sentiment d’opulence. En effet, l’embonpoint a longtemps, très longtemps même pour les hommes, été préféré à la maigreur, signe de maladie et de mort. En route pour ce voyage plein de surprises dont on regrette qu’il ne commence qu’avec le Moyen Âge. D’autre part, la période actuelle n’est visiblement pas aussi familière à l’auteur que le XIVe siècle.

C’est quoi, “gros” ?

Tout d’abord, on apprend qu’il a fallu attendre la Renaissance pour que les gros soient représentés avec une silhouette reconnaissable. Jusqu’alors, ils avaient ni ventre, ni menton, ni joues. D’autre part, si être “gras” était un sort enviable, rien n’était pire qu’être “gros” et on ne savait pas quand on devenait gros. Un peu gros, déjà gros, trop gros… Guillaume le Conquérant ne tenait plus à cheval, ça, c’était une vraie infirmité. Mais à part cette obésité invalidante, c’était quoi “gros” ? La frontière entre ce que l’on aimait et ce qui menaçait était très floue, tout comme la nature de ces bourrelets : de l’eau ? du vent ? du sang ? de l’huile ? du “flegme… issu du sang insuffisamment cuit” ?
Et pour traiter ce surpoids, très vite stigmatisé comme la marque d’une faiblesse morale, les traitements préconisés n’étaient pas tellement plus baroques que ceux que nous avons toutes lus dans les journaux. Entre le cabinet du Dr Mabuse et les médecins de Molière : porter des chaussures la nuit, boire de l’or bouilli comme Isabeau de Bavière, se sangler avec des ceintures très serrées, consommer des chairs “desséchantes”, “non excrémenteuses”, boire du vinaigre et refuser les “animaux venus des brumes”. Nous ne sommes pas si loin du “tout ananas”, du “tout soupe au chou”, du régime Atkins à base de viande, d’œuf et de beurre, des dissociés et autres. Sans parler des coupe-faim, des diurétiques et du retour du vinaigre !

“Votre maigreur me tue”

En fait, avec les années, l’embonpoint passe de rassurant à menaçant pour la santé, tant physique que morale, et bien que l’on ait longtemps pensé que l’obésité était “plus séante à la beauté que la maigreur”, les femmes, à la grande différence des hommes, vont devoir résoudre un dilemme presque impossible : une taille mince mais des fesses et des seins rebondis. Exemple parfait de la femme écartelée entre ces demandes difficiles à concilier, Madame de Sévigné qui se plaint aussi bien de la maigreur de sa fille qui la “tue !” que de ses rondeurs à elle.

Globalement, la silhouette en “S” reste le canon de la beauté féminine, avec divers artifices, lacets et corsets, faux culs et crinolines, jusqu’en 1910. Brusquement, l’idéal devient la silhouette en “I” élancée, dynamique et androgyne : on ne conçoit pas la garçonne faire du sport avec des contours “mammaires”, comme on disait alors. À partir des années 1920, la quête de la minceur devient un sujet central dans les journaux.

1000 gr de honte pure

Personne ne préconise la maigreur, pas plus qu’aujourd’hui d’ailleurs, mais la question du seuil entre mince et maigre est aussi imprécise que la limite entre gros et trop gros. Après la Deuxième Guerre mondiale et les privations, la femme retrouve un peu de ses formes, les mannequins des maisons de couture ne s’appellent pas encore Crevette ou Brindille. Mais avec la prospérité retrouvée et le sacre de la société de consommation, fesses et seins s’effacent à nouveau. On traque la moindre courbe, le plus infinitésimal soupçon de rondeur. Nous sommes devenues les victimes des ayatollahs du kilo caché, celui qui rend malheureuse, celui qui fait souffrir tellement que l’on est prête à se pourrir la vie pour le chasser. Et la question se pose toujours : c’est quoi “gros” ? Un rapport entre la taille et le poids ? Un tour de taille ? Une peau d’orange ? Un bourrelet ? Un kilo de trop, ou dix, par rapport à notre IMC (indice de masse corporelle) ? Les calculs se sont sophistiqués, les diététiciens, les coaches et les chirurgiens esthétiques sont nos nouveaux gourous mais nous sentons-nous mieux dans notre corps et notre tête ? Le pèse-personne a investi nos salles de bains et nous n’avons plus d’excuse pour ignorer le kilo embusqué, celui qui ne se voit pas, mais qui pèse de chacun de ses 1000 gr sur notre estime de nous-même.

Karl et les “grosses bonnes femmes”

Les images de mode nous ont tellement formaté la rétine et la cervelle qu’elles ont fait de nous nos propres bourreaux. Les mannequins recherchées aujourd’hui sont de drôles d’échassiers aux gros genoux osseux, aux cuisses creuses et au regard dramatique, dont les plus belles parures sont sans doute leurs clavicules et leurs petites côtes. Elles affichent 1,80 mètre pour le poids d’un enfant dénutri du Tiers Monde et en meurent parfois… Et on a toutes en mémoire l’élégant Karl Lagerfeld parlant de “grosses bonnes femmes” et déclarant sans le moindre état d’âme que personne ne voulait voir défiler des femmes rondes… C’est quoi “ronde” ?

Alors nous, on essaie de survivre, mais les boutiques branchées en rajoutent dans le genre “nooon, on n’habille pas les femmes comme vous”. C’est quoi “nous” ? Les futures stars du cirque Barnum ? Non, bien sûr. Des femmes tout simplement avec des formes comme Cécile et sa jolie silhouette en “S” : elle s’achète des robes très 50 (vous avez vu Julianne Moore dans Loin du Paradis ?) sur le site www.etsy.com, et dit : “Pour le première fois depuis longtemps, je suis contente de m’habiller comme une femme.” Oui, les femmes ont des formes et ce n’est pas mal.

“Ce qui m’a fait le plus de tort dans ma vie, c’est d’avoir les cheveux blonds et la taille mince.” Alfred de Vigny

- 3 kilos à Paris, + 5 kilos à Milan

Saviez-vous que ces petits elfes aux yeux cernés dont l’anguleuse silhouette est devenue une obsession pour beaucoup doivent suivre les usages en vigueur dans les différentes villes où se passent les défilés ? Les critères ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre et si elles n’en tiennent pas compte, elles ne vont plus plaire aux tyrans du look que sont les photographes, les stylistes et les agents pour qui l’obésité commence au 38. C’est aux diététiciens de leur faire perdre ces 3 kilos pour défiler à Paris, puis encore 2 kilos pour Londres avant de tout reprendre pour l’Italie, pays où le monde de la mode ne déteste peut-être pas autant les femmes.


Vous avez dit “fesses” ?

Hilarant — involontairement hilarant — papier dans Le Monde du 4 septembre 2010 : “Au Salon du prêt-à-porter à Paris, les fesses redeviennent un atout de séduction”. Après les seins, les fesses seraient la préoccupation des créateurs de mode. Bonne nouvelle… Pour illustrer le propos, on voit une photo de deux bébés filles montés en graine, avec d’interminables jambes sur semelles compensées terminées par des culottes montantes Miu Miu à pois. Ouh-ouh ! Les fesses ?! Où sont-elles ? Avec leurs seins, sans doute… On ne sait si elles ont huit ou douze ans mais les amateurs de callipyges vont être cruellement déçus et les callipyges elles-mêmes ne risquent pas de se reconnaître dans ces sauterelles ravissantes et prépubères.

[1Editions Seuil, 2010.

[2Portrait de Charles Mellin 1630

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