SOCIETE

Très chers agents immobiliers (suite)

16 mai 2020

Philomène Ladanse a commencé à vous montrer l’envers de ces agences immobilières qui poussent partout, comme des champignons après une averse. Voici la suite de ce papier qui décrypte bien l’univers impitoyable de l’immobilier !

Elle vous a évoqué les jolies vitrines peines de studettes de charme ou de duplex avec vastes terrasses. Elle se demande si les agents méritent un tel niveau de rétributions et la question seule donne une bonne idée de ce qu’elle en pense.

Acquéreurs ignorés

Pour les acquéreurs potentiels, le ton est plus détaché. Après avoir soupesé d’un regard, parfois assorti d’une question sans fard, la capacité financière du demandeur, ce dernier est soit éconduit promptement : “Tout part si vite, nous n’avons rien qui corresponde à vos critères” soit interrogé longuement dans le but d’établir une fiche numérique. Après quoi on l’assure qu’il sera recontacté “dès que… ”. Las, les infatigables agents officiant sous la houlette de Stéphane Plaza n’existent qu’à la télévision. Ces traqueurs de biens qui sonnent le rappel de tous leurs homologues et battent inlassablement la campagne ou le bitume, consacrant toute leur énergie à la quête du Graal, n’existent que très marginalement. A la campagne justement et dans de petites villes. Paradoxalement d’ailleurs, c’est là où la rétribution est la plus faible, car les prix de l’immobilier les plus bas, que leur valeur ajoutée est la plus forte.

Bonneteau verbal

Ou la moins faible car, trop absorbés à “rentrer des mandats” en courtisant les vendeurs, les professionnels négligent l’autre moitié de leur clientèle : les acquéreurs. Ne proposant à ces derniers que des biens souvent très éloignés de leurs critères car plus soucieux de l’écoulement de leur propre stock que des desiderata de leurs clients. Résultat, les acquéreurs des grandes métropoles en sont réduits à effectuer eux-mêmes le travail de recherche, traquant sur internet les annonces qui les feront errer d’agence en agence. Tout en en se délestant pourtant, in fine, de la dime revenant à l’agent qui a “rentré“ l’affaire. Ce dont les intermédiaires se défendent grâce à un petit tour de bonneteau verbal : tous les agents vous diront que la commission est à la charge du vendeur. Ce qui, en droit, n’est pas faux mais en réalité, la commission va bien sortir de la poche de l’acquéreur avant de se voir retranchée de la somme revenant au vendeur.

Schizophrénie exigée

Il existe deux autres considérations qui si elles étaient mieux connues du grand public, terniraient l’image que les agents immobiliers se sont soigneusement forgée au fil du temps :
Tout agent immobilier est, par définition, schizophrène : si vous avez un peu pratiqué les professionnels, vous aurez observé que le même agent décrivant et commentant le même bien tient un discours radicalement différent selon qu’il s’adresse à l’acquéreur ou au vendeur
•“M. Lacquéreur, vous avez conscience que je viens de vous faire visiter une véritable pépite : un appartement au plan parfait, dans un immeuble de standing situé dans un quartier très recherché.”.
•“M. Levendeur, je viens de faire trois visites de votre appartement et chaque fois, on me fait remarquer qu’il est sombre, exposé au nord, que le ravalement est à prévoir dans les deux ans et la rue particulièrement bruyante”.

Double langage

Pourquoi ces propos pour le moins contrastés ? Parce qu’il sait que le bien est un peu au-dessus du prix du marché - pour obtenir le mandat, il s’est abstenu de faire remarquer au vendeur qu’il était un peu trop gourmand - et qu’il veut le préparer à accepter la proposition de l’acquéreur qui tentera certainement une négociation.
Exit donc la notion de “conseil” si souvent mise en avant par les professionnels. Elle exigerait des intermédiaires si vertueux qu’ils seraient capables de décrire avec sincérité et dans les mêmes termes les avantages/inconvénients d’un bien. Quel que soit leur interlocuteur.

Diagnostics faciles

Restent les formalités administratives que les agents sont censés accomplir pour le compte de leurs clients et qui justifieraient une partie de leur rétribution. Mais là aussi, il y a loin du discours à la réalité. Les diagnostics obligatoires ? Un coup de fil pour prise de rendez-vous et 200 à 300 € suffiront à tout vendeur pour obtenir les sésames nécessaires, celui-ci devant juste vérifier que le diagnostiqueur est bien assuré contre les bourdes qu’il pourrait commettre… L’offre de vente de l’acquéreur à faire contresigner par le vendeur ? Quelques lignes suffisent à la formaliser. Quant à la promesse de vente, elle est de moins en moins souvent établie par l’agent immobilier qui préfère laisser ce soin au notaire. Lui déléguant avec la tâche, la responsabilité qui va de pair. En effet, les dernières dispositions législatives ont prévu des sanctions assez lourdes en cas d’omissions ou de déclarations inexactes. Mieux vaut donc, pour l’agent immobilier, ouvrir un confortable parapluie…

Les notaires

Jusque là, les notaires – dont les émoluments sont encadrés et qui ne perçoivent pas un euro de plus s’ils se chargent de la promesse de vente – restaient pudiquement cois. Peut-être pour ne pas déplaire aux agents immobiliers. Qui, il faut bien le dire, orientent vers leurs offices les clients dépourvus de notaire attitré.
Mais un faux pas a mis le feu aux poudres : galvanisés par l’irrésistible ascension des prix de l’immobilier, convaincus que si on leur versait sans ciller des honoraires aussi conséquents, c’était parce qu’ils les méritaient bien, les agents immobiliers aspiraient à une consécration suprême : un CADUCEE, un symbole qui les propulseraient du statut banal de l’intermédiation, d’un sort vulgaire partagé avec les concessionnaires automobiles et les vendeurs de photocopieurs, vers une noble mission de service public reconnue par l’Etat.

Un caducée

Convaincue que c’était là le signe de reconnaissance qui faisait défaut à ses troupes pour venir compenser des compétences parfois chétives et attirer plus encore d’adhérents et donc, plus de cotisations dans son escarcelle, la FNAIM a mis à l’œuvre quelques artistes de talent chargés d’élaborer le caducée. Puis, bouffi de son importance et ravi de son initiative, son état-major s’est empressé de claironner la brillante idée. Mais, cette fois, c’en était trop pour les notaires : le Conseil supérieur du notariat a assigné la FNAIM pour "détournement d’emblèmes de l’État" !
La chétive pécore s’enfla si bien qu’elle creva” : Se pourrait-il que ce soit le sort, magistralement illustré dans la fable, réservé à la profession si elle ne consent pas à un peu de modestie dans ses prétentions ?

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