ANIMAUX

Les Beldis

25 mars 2020

Bruns, jaunes, blancs, noirs. Avec ou sans taches. Bringés [1] ou mordorés. De type molosses ou d’un format rase-mottes. D’allure lévrier, berger, labrador, basset, ou du genre improbable, ces "princes" de la rue sont souvent les "joyaux" ignorés du patrimoine marocain.

Au Maroc, mais plus généralement au Maghreb, ces drôles de cabots que l’on voit proliférer un peu partout au point d’en devenir quasi-transparents dans le paysage sont désignés sous le terme de "beldis", ou bien encore de "khelouis".

Lumpenprolétariat

Autrement dit, les chiens sans race spécifique tant ils comptent une multiplicité d’origines dans leurs gènes. Des appellations, il faut bien le dire, aussi peu flatteuses que celles, absolument horribles dans leur consonance de corniaud ou de bâtard, ayant cours sous nos latitudes européennes. Une forme de "lumpenprolétariat" en version canine si l’on ose dire, que le poète Jehan Rictus, auteur du fameux « Les soliloques du pauvre », aurait pu célébrer en transposant le monologue du sans-logis contraint d’errer dans Paris à ces malheureux SDF à quatre pattes condamnés, dès leur premier jour d’apparition sur la planète Terre à une existence de misère, d’opprobre et de rejet.

Protection de Mahomet

Il suffit pourtant de prendre le temps et la peine de regarder ces beldis si souvent malmenés et méprisés pour se rendre compte de la beauté et de la noblesse de nombre d’entre eux. Et cela même s’ils ne peuvent se targuer d’ascendances prestigieuses et de lignées aussi longues que les routes qui, du Nord jusqu’au Sud, serpentent sur les flancs du Haut et du Moyen-Atlas. Malheureusement, même si le prophète Mahomet aurait dit, selon les Hadiths [2] "qu’un homme qui donne à boire à un chien assoiffé sera pardonné de ses péchés" , sur cette terre marocaine dont ils sont natifs, une grande majorité de ses citoyens ne les envisagent pas d’un œil empreint de commisération.

La peur des errants

Conséquence d’une éducation formatée par certaines interprétations distordues et rigoristes du Coran, selon laquelle "les anges ont peur des chiens. Ils n’entrent pas dans une maison où se trouve un chien ou une image". Effet aussi de la peur éprouvée par les gens en le voyant errer, souvent en solitaires et parfois en meutes, dans les rues et les périphéries des villes, les chantiers et les terrains vagues, le long des routes et dans les campagnes. Autant de silhouettes efflanquées, furtives, craintives, galeuses, voire porteuses de ces maladies si terribles que représentent la leishmaniose, la parvovirose, et la funeste rage

Deux millions de beldis

Certains chiffres présentés comme officiels évaluent la population de chiens beldis à deux millions d’individus. Mais il paraîtrait que leur nombre serait bien supérieur. Alors, et même si des programmes de stérilisation [3] sont déployés par les autorités, trop de municipalités préfèrent les exterminer à coup d’appâts empoisonnés et de tirs au fusil. De terribles massacres sont ainsi orchestrés régulièrement, lesquels font l’objet de vidéos et de photos chocs passant en boucle sur les réseaux sociaux, mises en ligne par des touristes et par des locaux horrifiés devant une telle barbarie.

Risques d’attaques

S’ils amenuisent leurs rangs, aux dires des spécialistes, de telles pratiques normalement interdites par les instances gouvernementales ne règlent en rien le problème de cette surpopulation canine qui, force est de le constater, peut présenter de réels dangers d’attaques violentes et de blessures parfois mortelles pour les Humains qui croisent certaines de ces meutes. Il faut dire qu’à force de privations et de mauvais traitements encaissés depuis des générations, de grossesses à répétition, et du sentiment de crainte et de dégoût que les habitants du cru éprouvent à leur égard, les beldis sont devenus d’une résistance rare aux épreuves et aux coups du sort auxquels leur vie de chien sans maître ni foyer les condamne.

Cascades de tendresse

Pourtant, même si dans leurs veines coule un sang très mêlé, les beldis n’en forment pas moins, à notre sens, les joyaux du Maghreb. Il suffit de plonger notre regard dans leurs prunelles de jais, d’ambre, de jade ou d’agate. Nous y décèlerons alors des trésors de sensibilité, des cascades de tendresse scintillante, des rivières d’amour chatoyant, que ces chiens sans race mais d’une noblesse sans pareille ne cesseront jamais de vouloir offrir à qui saura vraiment les accepter sans réserve, ni préjugés.

Par Philippe Dayan [4]

[1Se dit de chiens, ou de leur robe, qui ont des bandes de poils plus ou moins noirs sur fond de poils fauves

[2Autrement dit, ses paroles de transmission à ses disciples

[3Les TNR comme on les nomme en un pratique acronyme, consistant à capturer, stériliser, puis remettre sur leur territoire les chiens et les chats errants

[4Philippe vit au Maroc et recueille tout ce qui a quatre pattes et besoin d’amour

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