TEMOIGNAGES

Varanasi, à la vie, à la mort

13 juillet 2012

Comment parler de Varanasi [1] ? Comment dire ce que l’on a vu, exprimer ce que l’on a ressenti devant ce creuset de vie et de mort ? Helen Haynes se perd dans le dédale des petites rues, devant cette orgie de parfums, d’odeurs, des plus suaves au plus méphitiques…

"Varanasi est trop. Trop tout. Trop angoissante, trop séduisante et je suis restée, spectatrice fascinée devant les cortèges mortuaires s’acheminant vers le Gange, devant les enfants qui jouaient au pied des bûchers funéraires, devant les femmes qui lavaient le linge des hôtels dans le fleuve où flottaient les corps des plus pauvres, de ceux qui ne pouvaient s’offrir de crémation selon les rites.

Parfum de mort

Dans la ville de Shiva, tout se passe sur les ghâts [2] et tout est dédié à ce dieu symbole de destruction et de création, puisqu’il faut détruire l’ordre ancien pour reconstruire le nouveau. Varanasi est une ville mystique où toute la journée est scandée par des prières, des offrandes, des incantations, des mantras. L’air est saturé d’encens, de fumée de brasero, de parfums mêlés de santal et de corps qui se consument, de bétel mâchonné et recraché, de fleurs fraîches et de bouses de vache. Tout le monde tombe malade en arrivant sans avoir fait aucune imprudence ni aucun excès alimentaire comme si respirer à Varanasi suffisait à empoisonner. D’ailleurs, beaucoup porte un masque sur le nez pour protéger la gorge et les narines envahies par ce goût étrange, comme le faisaient les Vénitiens au temps des grandes épidémies de peste sur la lagune.

Le Gange rédempteur

Bien sûr, Varanasi ce sont les crémations qui ont lieu tout au long des jours, plus ou moins près du fleuve suivant les revenus financiers. Le vœu le plus cher d’un hindouiste est d’être incinéré ici et d’avoir ses cendres dispersées dans le Gange car il échappe ainsi au cycle des renaissances et connaît enfin la paix éternelle.
Le corps arrive sur une civière en bambous, on lui fait sa dernière toilette tandis que, sur son portable, le fils aîné négocie le prix du bois, le santal étant le plus précieux et le plus cher. Les pauvres disposent d’un crématorium électrique à 500 roupies (7€). Le fils se baigne, se rase la tête sauf une mèche et revêt un dhoti blanc. Quand le bûcher est prêt, le feu embrase la construction de bois. Après trois ou quatre heures, il ne reste d’une femme que son bassin et de l’homme son sternum, en plus des coudes et du crâne. On tamise les cendres pour récupérer l’or des dents et on jette le reste dans l’eau boueuse. Ainsi le mort trouvera-t-il le nirvana.

Danse macabre

Quand on vient d’Occident où la mort est dissimulée et prétexte à une grande tristesse, cette cérémonie est stupéfiante de naturel et de calme. Les enfants continuent à jouer, les vaches vont et viennent, certains pêchent dans cette eau bourbeuse où l’on jette directement, lestés de pierres, ceux qui n’ont pas droit à la crémation : les femmes enceintes, les bébés, les vaches sacrées, les lépreux et les sadhu, sans oublier ceux qui sont morts à la suite d’un accident, d’une maladie ou d’un meurtre.
Alors Varanasi la cité sainte, la ville la plus ancienne de l’Inde, résonne de cris d’animaux, de chants, de musique et je contemple, hypnotisée, ce ballet de vie et de mort qui n’a pas dû changer depuis la création."

Voir aussi :
L’Inde avec Helen Haynes ; Le dandy de Pondi et Auroville l’idéal perdu

Photos Helen Haynes

[1anciennement Bénarès

[2« marches », désigne en Inde les marches qui recouvrent les rives des cours d’eau

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