ARCHITECTURE

Édouard François, architecte contextuel

8 octobre 2010

Ricardo Bofill disait que l’on devrait obliger les architectes à habiter les immeubles qu’ils construisent. Édouard François n’a pas l’air contre cette idée…

Les années 80, du dernier siècle, du dernier millénaire, ont accouché d’un énorme phénomène tellurique, une sorte de Taras Boulba de l’architecture, natif du Lot-et-Garonne. Jean Nouvel, avec sa silhouette d’ogre et sa voix de stentor qui décrétait que le beau, le vrai, c’était son Institut du monde arabe (1987), sa fondation Cartier (1994), son musée du quai Branly (2006) et ses tours. Aujourd’hui, l’architecture devant composer avec les nouveaux impératifs écologiques, d’autres noms ont fait surface. Édouard François fait partie de cette nouvelle école, moins formidable physiquement, moins chtonien dans sa façon d’être, mais on aime bien ses idées ébouriffées comme ses cheveux et certains de ses bâtiments.

L’architecture, élément du décor

Tout d’abord, il tord le cou à la question qui ne lui a pas encore été posée : “Le débat sur l’architecture moderne est devenu un faux débat. Tout est une question de contexte.” L’écologie c’est aussi de “ne pas déranger ce qu’il y a autour”. On a tellement construit que la question qui se pose est “Comment maintenir ce qui existe ?”, plutôt que de “continuer à saccager en pensant que le nouveau saccage va être la solution”. La Tower Flower. © DR
Et il raconte comment on lui a confié le chantier du Fouquet’s sur les Champs-Élysées : “Comme j’étais connu pour faire de l’architecture végétale, personne n’a compris mon projet. J’ai dû expliquer à l’architecte des Monuments Historiques qu’un bâtiment végétal à cet endroit-là serait absolument incongru. En revanche, cela avait du sens de faire de l’haussmannien.” Il a donc inventé un immeuble, copiant ce qu’il y a de mieux dans le style haussmannien. Puis, il l’a muré et coupé pour bien “montrer le décalage”. Aujourd’hui, on passe devant le Fouquet’s sans toujours voir qu’une grande partie de l’immeuble est totalement neuve. On ne discerne pas non plus que les fenêtres à l’ancienne sont murées et que des baies vitrées parsèment la façade çà et là, “accrochées comme des tableaux sur du papier peint”.

Respectueux mais imaginatif

Édouard François utilise la même expression pour qualifier son travail boulevard de Waterloo à Bruxelles, là où se regroupent les marques les plus luxueuses — trois hôtels particuliers dont il fallait transformer le rez-de-chaussée pour y installer des boutiques. Il a muré les immeubles, coupé les trumeaux pour créer des fenêtres saillant de 40 centimètres de la façade. “Comme le verre est très épais, tranché en miroir, cela reste très abstrait, on ne sait pas si c’est troué ou pas. En fait, ce sont d’énormes vitrines, comme des cadres sur une toile de Jouy.”
Pour vendre son projet à la mairie de Bruxelles, il a plaidé la réversibilité, autre cheval de bataille des architectes écolos : “J’ai obligé mon client à avoir un local spécial pour ranger toutes les pierres que j’ai coupées et ôtées. Et le maire a la clef.” On pourra donc tout remonter à l’identique. Et il ajoute avec gourmandise : “Techniquement, c’était une folie. Comme l’équilibre structurel a été totalement modifié, on a clouté l’arrière de la façade comme un tapis de fakir : 3000 longs clous sur lesquels on a coulé un voile de béton. La façade est suspendue par ces clous !”
Autre contexte, autre style : à Champigny sur Seine, il essaie de réconcilier les habitants avec ce qui existe déjà, des barres, des petits pavillons et des maisons de ville. La maquette montre une sorte de tranche napolitaine, lui dit “un collage vertical “, de maisons, de barres et de pavillons. Vous avez dit bizarre ? Franchement oui, mais on verra ce que cela donnera une fois réalisé. Collage vertical à Champigny. © DR

Tour en habit de verdure

Pour le retrouver sur le terrain qui l’a rendu célèbre, il annonce qu’il va faire une tour dans le 13e arrondissement, la première tour de logements depuis 1970. “Ce sera juste une boule verte qui dépasse. Comme les Buttes-Chaumont.” Il a demandé à des botanistes de lui trouver des plantes résistant au vent et à la sécheresse. Mieux, même, il a choisi des plantes au “rang 1 de l’état sauvage” pour régénérer les pauvres végétaux fin de race que l’on trouve à Paris. “Cette tour va servir à polliniser la région”, à insuffler un peu de vigueur nouvelle aux balcons pâlots… Pratiquement, ces plantes poussant généralement dans les failles des montagnes et des falaises, il leur construit des “pots” de 15 centimètres de diamètre et 6 mètres de long : “Cela va ressembler à un tableau de Uccello avec une forêt de lances.” Et l’entretien ? Facile. Arrosage automatique et un accès direct aux balcons sans passer par les appartements.
L’écologie consiste encore à ne pas laisser sur les bras d’une municipalité ou d’un propriétaire des gazons impossibles à tondre (Bercy), des vitres impossibles à nettoyer (la pyramide du Louvre), des escaliers patinoire par temps de pluie (Très Grande Bibliothèque), sans oublier les arbres exotiques en sous-sol maintenus par des câbles, toujours à la TGB, et les pans de façade de l’Opéra-Bastille retenus par des filets. Modeste, alors, Édouard François ? “Pas du tout, j’ai un énorme ego.”
Le Fouquet's. © DR

MOTS-CLES : .
Bookmark and Share flux RSS


form pet message commentaire
Qui êtes-vous ?