SOCIETE

Experts et décideurs

5 octobre 2010

Pour les étrangers, la France est un pays d’“experts”. Notre aptitude à émettre des avis péremptoires sur des sujets aussi variés que le réchauffement climatique, le cours du yuan, la messe en latin, le dernier Goncourt et la recette du couscous sidère. Il y a un rien de moquerie dans cet étonnement, mais pas seulement : cette curiosité tous azimuts provoque également une vague admiration. Mais chez nous, que fait-on de nos experts ?

Nous sommes tous plus ou moins experts en quelque chose et chaque année, l’administration française doit déforester l’équivalent de l’Amazonie et ses environs pour fournir des tonnes d’expertises, d’analyses, de rapports, de notes techniques et autres TD (Télégramme diplomatique). Car il ne faut pas croire que toute cette correspondance d’un bureau à l’autre soit “dématérialisée”. Nombre de ministères se méfient de la trop grande fluidité du Net, de l’accessibilité de mauvais aloi au chef (de bureau, de section, de service…). Donc papier, parapheur et hiérarchie pyramidale de type classique. C’est ainsi que voyagent les rapports d’experts, transitant de bureau en bureau, d’étage en étage, sachant qu’il leur faut parfois des semaines pour traverser un couloir…

Savoir tout sur presque rien ou presque rien sur tout

Autre inconvénient du système français : la différence fondamentale de formation entre les experts et les décideurs. D’un côté, des spécialistes très pointus, bardés de doctorats, et de l’autre d’anciens de Sciences Po et de l’ENA, des généralistes formés à prendre des décisions et vite. Changeant d’affectation tous les deux ans, ils doivent passer de la diplomatie au ministère de l’Intérieur puis à la tête d’une entreprise du CAC 40.

Jean Poiret et Noël-Noël dans “Messieurs les Ronds-de-cuir”, 1959.Idéalement la profondeur des premiers devraient enrichir la réflexion des seconds pour une prise de décision rapide. En réalité, les avis des experts se perdent dans les sables ou plutôt dans les innombrables remaniements et simplifications opérés par les intermédiaires. À chaque passage dans un nouveau bureau, les rapports perdent un peu de leur substance et de leur subtilité dans un désir trop humain de marquer son territoire.

Au final, il y aura un abîme entre les préconisations des experts et la décision du ministre, par exemple, décision qui sera prise en dix minutes non par rapport aux besoins mais à des arrière-pensées politiciennes : comment se faire bien voir de l’opinion ? Comment faire un coup qui déstabilise l’adversaire ? Comment se faire (ré)-élire ?

Le chef a toujours raison

Contrairement à ce qui se fait à Londres, jamais un ministre ne reçoit un jeune fonctionnaire, spécialiste du sujet. Exemple d’annotation écrite par un ministre en marge d’une note des services de renseignements : “Vous n’êtes pas là pour développer vos idées mais pour mettre en musique les miennes”. Avait-il à l’esprit le bien public ou le sien ?

En dehors de cet axiome plus vrai que jamais, "le chef a toujours raison", ceci reflète l’incapacité très française à se concerter, à se réunir pour établir des stratégies en commun sans que le plus haut dans la hiérarchie n’impose obligatoirement son opinion. Peut-être l’idée même de débattre en réunion pour aboutir à une décision consensuelle nous rebrousse-t-elle les poils : il n’est qu’à voir que dans bien des administrations, les tables “de réunion” ne se trouvent pas dans une salle spéciale, en terrain neutre, mais dans un coin du bureau directorial…

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