71 Coup de blues

24 juillet 2011

Beaudoin eut beaucoup de mal à retrouver une expression plus ou moins sereine pour revenir au bureau. Bêtement, il avait envie de se faire porter pâle, quelque chose de bien puéril comme se mettre sous sa couette en prétendant avoir attrapé froid. Froid comment ? Froid dans les escaliers déserts des immeubles du Sentier. On pouvait dire qu’elle, au moins, ne manquait pas de sang-froid. Femme vertueuse certes mais pas affolée. Il n’avait pas compris sur le moment son murmure. Elle était là, défaillante, mais n’avait pas perdu de vue un instant la question de la capote.

C’était la première fois qu’il était aussi lamentable avec une femme. Cette enquête le minait. Depuis le début, il avait senti que rien ne serait simple. D’abord le cadavre de Lucile, son premier, du moins dans cet état. Les accidentés sur la voie publique ne lui avaient jamais donné cette impression de violence effrayante. Cette femme chez elle, dans son appartement avec des dentelles, des rubans et des bibelots idiots, le crâne fracassé. Le sang sur la courtepointe de satin, l’absurde coiffure de fête dérangée et le maquillage figé dans la souffrance. Il avait dû vomir dans les toilettes parfumées à la rose. Puis il y avait eu les premiers interrogatoires et l’indifférence de son entourage quand ce n’était pas du soulagement. Il ne comprenait pas comment on pouvait ne pas être peiné pour cette femme dont l’image hantait encore ses nuits. Puis le coma de Lannois, ses archives, sa maitresse, l’épisode Saunders, étouffé, et finalement les vidéos pornos. Il ne pourrait plus feuilleter de papier glacé sans penser à ce qui pouvait s’y dissimuler. Et puis il y avait Alex qui l’obsédait et qui le faisait se conduire comme un total idiot.
Quand il parvint au bureau, Vogel lui annonça avec jubilation que Balinaud était en route, qu’ils allaient enfin en savoir plus sur ces parties de campagne. Il eut la délicatesse de ne pas voir l’air abattu de son jeune confrère.

Quand Balinaud fut annoncé, ils furent presque surpris de le trouver habillé sobrement d’un costume gris à rayures tennis. Avec son crâne plutôt dégarni, il ne manquait pas de dignité et il était difficile de voir en lui l’acteur principal des vidéos qui s’empilaient sur la table ni le triste sire qui imposait à son fils et à sa femme ses amants à domicile.
Il s’assit dans le fauteuil face aux deux policiers et commença sans attendre un monologue lassé.
“Je ne savais pas si vous alliez arriver jusqu’à moi. J’espérais que non, bien sûr, mais puisque c’est fait, je n’ai pas l’intention de vous dissimuler quoi que ce soit. J’imagine que vous avez tout entendu sur cette pauvre Lucile et que ce ne sont pas ces misérables vidéos qui l’ont fait remonter dans votre estime. Personne ne l’aimait. Pas même Lannois et finalement c’est peut-être moi qui l’ai le mieux comprise, à défaut d’autre chose. Je la connais depuis longtemps. Lannois l’a imposée au groupe Saunders avant mon arrivée. Elle est passée par les différentes publications sans récolter autre chose que du mépris de la part des soi-disant intellectuels locaux.”

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