52 Les Paris de Daniela de L.

26 mai 2011

La secrétaire affolée devant le crime de lèse-Lombroso ne savait où donner de la traduction.
“Vous pourriez peut-être demander un rendez-vous ?”
“Non. Je suis ici et madame de Lombroso aussi. Cela tombe bien non ?” déclara-t-il en posant ses mains à plat sur le bureau sous le nez de la diva.
“Who are you young man ?” finit-elle par articuler en levant des yeux charbonneux vers lui. Trop de rouge à lèvres filait aux commissures, trop de fond de teint s’incrustait par paquet dans les rides, trop de parfum s’échappait par bouffées de son décolleté apocalyptique, trop de faux chic anglais lui faisait sortir des dents jaunies. Ses deux poings serrés couverts de bagues scandaient son impatience sur une planche de photos.
“Ecoutez, vous dictiez en français quand je suis arrivé, restons simple et ne faisons pas de concours de "th" et de "h" aspiré.”
Elle le fixa d’une œil rond et clignotant de volaille, surprise d’être traitée à la légère.
“D’accord, je suis Daniela de Lombroso. Ici, je m’occupe de la rubrique "people" ce qui s’explique facilement puisque j’en suis moi-même.”
“De quoi ?”
“Du people. La famille de mon mari remonte au XIIIe, pas comme cette sotte de Delarue dont la noblesse remontait à sa dernière galipette avec son notable de sous-préfecture. Vous voulez mon sentiment ? Elle n’existait pas et voulait faire croire que si. Elle a explosé comme la grenouille de la fable, ce n’est qu’un juste retour à la normale. Elle a disparu d’un monde qui n’était pas le sien. Point trait.”
“Vous l’aimiez beaucoup à ce que je vois.”
“Je ne la connaissais pas.”


Daniela de Lombroso se replongea dans ses dossiers et continua comme si rien ne l’avait interrompu :
“Le joli moineau qui se balançait en sifflant dans la cage de Goude pour Coco a bien changé, pourtant la grâce est toujours intacte et le sourire gourmand...”

Beaudoin renonça à faire remarquer qu’il n’était pas question de grenouille mais de hérissons, qu’il n’était pas non plus convaincu de l’aristocratie de Lucile de la Rue, mais il comprit qu’il avait déjà eu plus qu’il ne méritait. Visiblement, Daniela faisait partie de ces "folles ordinaires" comme les appelait Alex : elle écrivait, persuadée que le sort du monde en dépendait et qu’elle tenait la planète en haleine grâce à sa rubrique "Les Paris de Daniela de Lombroso".

De toutes façons, il ne voyait pas cette vieille dame enfoncer le crâne de la robuste Lucile simplement parce qu’elle la soupçonnait sortie du ruisseau. D’ailleurs il n’imaginait personne tuer Lucile, ou tout le monde comme dans les romans d’Agatha Christie : Louis Lannois avait ouvert la porte, Consuelo avait fourni les patins et Ginette Brons, les gants de caoutchouc pour ne pas laisser d’empreinte. C’est Alice Macloux, la fille de Louis lésée dans son héritage futur qui avait porté le coup fatal. Le plan était d’Alex. Non, de Marie-Caroline ou alors de la petite Martinet. Il finissait par trouver curieux qu’elle ait vécu aussi longtemps impunément.

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