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Abidjan agonise
27 mars 2011
Viviane arrive de Côte d’Ivoire, chassée par la peur de se faire tuer. Elle nous parle de la vie quotidienne dans la capitale, Abidjan, qui fut, rappelons-le, une des villes les plus modernes et performantes de l’Afrique.
« Nuit et jour, on entend tirer à l’arme lourde chez moi, à Anyama, mais pas seulement. Mes amis et ma famille vivent dans d’autres quartiers mais cela devient très difficile de passer les barrages pour aller les voir.
La plupart des gens d’Abobo sont partis vers Bouaké qui est un peu plus sûr, mais, de toutes façons, il ne fait pas bon de sortir si l’on porte des noms comme Ouédraogo, Cissé ou Coulibaly, qui montrent que l’on vient du Mali, du Burkina ou du nord de la Côte d’ivoire.
En fait c’est de plus en plus dangereux avec les jeunes payés par le camp de Gbagbo et qui sèment la terreur : sous prétexte de vérifier s’il y a des armes dans les voitures, ils pillent, brutalisent et tuent aussi parfois, même s’ils n’ont pas encore d’armes à feu. En fait ce sont les gamins qui trainent dans les rues, ceux qui gardent les voitures par exemple. Apparemment, on leur donne plein d’argent. On parle d’1,5 millions de CFA [1] à se partager en 50. Pour cette somme, ils sont évidemment prêts à tout !
On craint aussi les mercenaires libériens qui tuent et violent.
En revanche, j’ai entendu dire que l’armée régulière proches de Gbagbo, sont prêts à tourner casaque si les rapports de force changent. En fait, ils ne veulent pas se battre et certains auraient déclaré être prêts à se mettre en civil dès les premiers affrontements.
Certains quartiers sont complètement désertés : du côté des tours Sainte-Marie il n’y a plus personne. Même chose au Plateau où il n’y a plus les embouteillages habituels. L’université d’Abobo a été détruite, la cité universitaire est vide… Le problème ce sont ces miliciens FESCI [2] qui occupent tous les locaux, comment s’en débarrasser ?
Pour asphyxier Gbagbo, la communauté internationale a fermé des banques. Du coup, plus personne n’a d’argent liquide et on ne peut plus payer ni par chèque, ni par carte. On n’a plus de nourriture, ni de médicaments, ni rien, et des gens meurent faute de soins et faute de pouvoir aller à l’hôpital ou à la clinique dans un autre quartier. Les entreprises en sont réduites au chômage technique : Canal +, Filtisac [3], Côte d’Ivoire Télécom… Même l’institut Cerap [4] du père Denis Maugenest est fermé par sécurité.
L’Eglise catholique est très divisée : il y a des partisans plus ou moins déclarés de Gbagbo, aussi bien du côté des laïcs que de la hiérarchie, ce qui sème le trouble chez les fidèles qui attendaient autre chose de leur Eglise. Aujourd’hui beaucoup de Baoulé pour qui la fête de Pâques est très importante (Paquina) vivent un de leurs pires Carêmes et refusent d’aller à la messe.
Quant à la Force Licorne, de l’armée française, sa tâche officielle consiste à protéger ce qui reste de la communauté française. Si un Français appelle un certain numéro au consulat, en 5mn un char arrive au bout de sa rue ! Mais à part ça, ils ne peuvent rien faire. Les forces de l’ONU, elles, sont chargées de protéger Ouattara et son gouvernement reconnu par la communauté internationale. Sans l’ONU, ils auraient été tous tués depuis longtemps ! Mais elle n’a pas de mandat offensif…
La population qui vit un véritable calvaire souhaite en finir une bonne fois. Personne ne croit plus à une nouvelle négociation -il y en a déjà eu 6 et, quoi qu’en disent les diplomates, la guerre est déjà là."
[1] environ 2 300 €
[2] Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire
[3] filature tissage sac, unité de fabrication de sacs en fibre naturelle
[4] Centre de recherche et d’action pour la paix
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