27 Ragots et médisances

27 mars 2011

Il laissa du temps à Laetitia de se remettre de cette incongruité qui la ravissait autant qu’elle la choquait.
“Et la maitresse, c’est qui ?”
“Je n’en sais rien. Demandez-le lui ! J’imagine que c’est quelqu’un qui veut réussir rapidement dans le journalisme, comme Lucile l’a fait.”
“Savez-vous pourquoi Lucile était indéboulonnable ?”
“Non, pas vraiment. Il y a des théories dans la maison à ce sujet. Louis Lannois aurait aidé je-ne-sais-qui à entrer lui aussi à l’académie mais je ne sais pas si cela suffirait d’autant qu’il semble que l’appui soit Saunders lui-même. C’est lui qui intervenait directement quand Lucile avait passé les bornes et que Marie-Caroline ou Pierre-Yves voulaient la mettre à la porte.”
“C’est quoi ces histoires d’appui ?”
Elle baissa les yeux et ne répondit pas.
“Posons la question différemment : comment êtes-vous entré dans ce magazine ?”
“Mon beau-frère a été ministre de Giscard d’Estaing.”
Elle se leva et lui adressa un petit sourire pincé.
“Si vous n’avez plus besoin de moi, j’ai des papiers à rendre de façon urgente.”
Il acquiesça de la tête essayant de se souvenir de ce qu’avait dit Alex de la France qui était un pays latin et regrettant de l’avoir interrompu en la titillant sur ses rapports avec Lucile. Il avait l’impression que cette question était essentielle pour l’enquête et que personne ne voulait y répondre.

Il fixait encore la porte du réduit quand Marie Bouillot fit son apparition, furtive et essoufflée comme une souris qui vient de voler une croûte de gruyère. Elle aurait pu faire de la figuration dans un film de Clouzot en noir et blanc.
“Veuillez vous asseoir Madame.”

Inconsciemment, il n’adopta pas le même ton qu’avec les autres tant elle avait l’air déplacé avec son tailleur gris marron, ses chaussures “pieds sensibles” et son sac de contractuelle. Il avait dû renoncer à l’image qu’il avait des journalistes mais celle-ci était inclassable de toute façon.
Comme Laetitia, elle commença sans crier gare.
“On a dû déjà vous dire qu’Alex a de graves problèmes psychologiques, n’est-ce-pas ?”


Devant son silence surpris, elle continua :
“Elle a été internée si vous voulez tout savoir ! Lucile avait peur qu’il n’arrive un malheur.”
Un peu ahuri par cette déclaration, il se hasarda à demander :
“Elle craignait quoi et pour qui ?”
“Je ne sais pas, moi !”, répliqua-t-elle de son ton aigrelet. “Elle était inquiète, c’est sûr. Vous savez, ce n’est pas facile de travailler avec des fous et Alex était vraiment malade.”
Beaudoin eut l’image d’Alex riant avec lui au restaurant, le surveillant du coin de l’œil, partant acheter des fleurs pour ses bords de fenêtres. Rien qui n’évoque la "folie".
“Vous l’avez vue malade ?”
“Non, c’était avant mon arrivée. Mais je l’ai vue...pas bien.”
“C’est quoi “pas bien” ?” reprit-il, prenant la défense d’Alex sans s’en rendre compte.
“Vous savez, prête à pleurer, nerveuse...”
“D’après ce que j’ai cru comprendre, on pleurait beaucoup avec Lucile, non ?” lui lança-t-il sans douceur superflue.
Marie le regarda furtivement à travers ses lunettes Sécurité Sociale.
“Moi, vous voulez dire ?”
Il sourit sans un mot, ravi de lui avoir claqué le beignet à cette traitresse de comédie !
“C’est vrai : Lucile m’a beaucoup fait pleurer mais ce n’est pas pareil. Je ne suis pas folle. Je n’ai pas été mise à l’asile comme l’autre.”

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