METIER

Etre chercheur aujourd’hui

9 mars 2011


Voici ce qu’écrit sur son blog un jeune chercheur à l’université de Cambridge. Il parle de ses rêves d’enfants, de sa passion pour la science, des efforts qu’il a fait et de la réalité. Ce témoignage est très dur, très désespérant. D’autres ont certainement des expériences moins cruelles mais c’est à lire !

Un de mes souvenirs les plus anciens : j’ai 5 ans et je dis à ma mère sur ce ton de sérieux absolu des enfants, « quand je serai grand, je serai un savant »
Hier, j’étais dans mon bureau du Département de Chimie à Cambridge en train d’empaqueter mes affaires, résolu à ne plus faire de la recherche. Du moins dans l’immédiat.

Qu’est-ce qui a mal tourné ?

Bien sûr, peut-être que mon projet était-il nul mais s’il n’y avait que ça, j’aurais changé de labo. Non, le problème c’est la pratique même de la science.
Tout d’abord,il faut savoir une chose : les scientifiques font de la science par amour de la science. Ni pour l‘argent, ni pour la célébrité -qui peut citer cinq prix Nobel de Chimie au débotté ?- ni parce que c’est agréable. Non, on y va par amour de la science elle-même et c’est comme ça depuis mes 5 ans.

Une chose est de l’aimer, l’autre de la pratiquer et ça, personne ne veut le savoir.
En théorie, c’est génial : les expériences, les analyses, les calculs, les programmes mais, à l’exception des maths et la physique théorique, impossible de travailler seul. On a besoin d’argent, d’instruments et… d’autres personnes. Et c’est là que tout se complique.

Deux choix se présentent : grimper tout au sommet, faire les études les plus brillantes, fréquenter les endroits les plus réputés et avoir un poste à la fin. Beaucoup rêvent de ce paradis. Beaucoup plus qu’il n’y existe de places. La compétition est telle que non seulement les espoirs d’avoir un travail est quasi nulle mais en plus on devient méchant. Très méchant.
Tous les moyens sont bons : faux renseignements pour saboter les études des concurrents, fausse gentillesse pour mieux vous dépouiller, accusations en tout genre, voici le lot quotidien des chercheurs. Si donc vous voulez travailler avec des personnes aussi follement cyniques que follement intelligentes, prêtes à tout pour vous écraser, bienvenu dans les hautes sphères de la science !

Autre chose à savoir : la science de haut niveau réclame une détermination incroyable et une immense confiance en soi. Ceux qui réussissent ne sont pas les plus brillants mais les plus déterminés. Les prix Nobel se caractérisent par chance et une détermination sans faille. Tout cela suppose de travailler 24h/24 et 7 j /7 en sacrifiant tout ce qui faisait votre vie, pour imposer votre projet, tout en bataillant avec des types aussi déterminés, talentueux et coriaces que vous !

Techniques de survie

A Cambridge, en dehors des vrais génies, peu nombreux, il y a ceux qui ont choisi l’option suivante : trouve-toi une niche où tu es indispensable et ne la lâche sous aucun prétexte. Cela suppose de faire et refaire éternellement la même chose, simplement parce que c’est moins risqué. Moi je pensais que la science consistait à élargir et approfondir ses connaissances. Erreur fatale : c’était le chemin le plus court au suicide professionnel  !
La deuxième option tient plutôt de la survie : aller de postdoc [1] en postdoc et peut-être finir chercheur quelque part, dans une petite université ou un centre de recherches sans intérêt, à travailler pour un petit salaire sur des projets ennuyeux sans espoir de carrière - les carrières sont réservées aux tueurs dont je parle plus haut-, ni garantie de stabilité…

Voilà, si vous n’êtes pas taillé pour ce genre de vie, oubliez. J’ai essayé. De toutes mes forces. Résultat ? Six mois sous antidépresseurs, une gastrite permanente, deux histoires d’amour sacrifiées et toute ma vie sociale à la poubelle. Tout ça pour deux papiers obscurs sur on ne sait quoi, perdus au milieu de milliers de papiers du même genre.

Accro à la science

Longtemps, j’ai cru que cela valait la peine. J’avais voulu être un scientifique depuis mes 5 ans. J’avais tout fait pour ça : j’étais parvenu à appartenir à l’une des cinq universités les plus renommées au monde, dans l’une des cinq meilleures équipes sur le sujet. J’avais reçu des crédits pour continuer mes recherches personnelles. Toute ma vie tenait à ce statut de scientifique et quitter le monde universitaire représentait un échec personnel.
Mais aujourd’hui je vois que c’est une illusion. L’université n’a rien fait pour moi qui lui ai tout donné. Quand je l’ai compris, mon univers s’est écroulé et puis, je me suis souvenu que j’avais une vie et que je l’aimais. Qu’il y avait des milliards de choses que j’avais envie de faire. Retrouver sa vie n’a rien d’un échec. C’est se réveiller enfin et gagner.

L’autre jour je parlais à des amis et je me suis surpris à comparer la science à une drogue. Etre un scientifique c’est, si vous avez de la chance, une semaine d’adrénaline suivie de six mois de douleur, jusqu’au nouveau shoot d’adrénaline. D’accord, c’est une noble addiction, mais c’est toxique quand même ! La semaine prochaine, j’ai 30 ans et je reprends possession de ma vie.

Credit : STS-133 Shuttle Crew, NASA

La version originale de ce texte adapté en français se trouve sur http://blog.devicerandom.org/2011/02/18/getting-a-life/

[1contrat post-doctoral, à durée déterminée (de quelques mois à 3 ans en général)

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