SOCIETE

Foot : marché aux esclaves ?

10 septembre 2010

Alors que sort Black Diamond, le documentaire de Pascale Lamche sur la traite des jeunes footballeurs, voici l’éclairage d’un universitaire, Wladimir Andreff : de jeunes Africains vendus aux clubs des pays du nord et des pays vidés de leur sève par manque d’argent… .

On parle couramment de “fuite des cerveaux” à propos des jeunes chercheurs qui s’expatrient, souvent aux États-Unis, pour poursuivre leurs travaux dans de meilleures conditions financières. On a même vu des prix Nobel d’origine française mais naturalisés américains… On connaît moins la “fuite des muscles”, d’autant que, dans ce cas, nous sommes du côté des bénéficiaires de cette migration : ce ne sont pas nos athlètes qui vont faire carrière à l’étranger mais bien les étrangers qui se retrouvent dans nos équipes. Quand il s’agit de transfert à l’intérieur de l’Union européenne, ou entre pays du Nord, c’est du business. Cela peut donner des choses surprenantes comme Arsenal où ne jouait aucun Anglais mais des Français, des Brésiliens, des Portugais et quelques Britanniques. Le plus surprenant est que les décisions prises pour organiser le marché des transferts, comme l’arrêt Bosman prononcé en 1995 par la Cour de justice des Communautés européennes, n’ont fait qu’aggraver la situation.

Un petit Brésilien de 3 ans, déjà “espoir”

Humainement, le problème se pose très différemment lorsque les grands clubs du Nord s’offrent des joueurs des pays du Sud parce qu’ils ne coûtent pas cher. C’est à ce scandale que s’est attaqué Wladimir Andreff, professeur d’économie à la Sorbonne [1]. S’il parle du foot, il soulève également le problème pour d’autres sports et d’autres pays : les champions de base-ball viennent de la République dominicaine, ceux de cricket et de polo du Pakistan et de l’Inde, les marathoniens de l’Est africain, surtout d’Éthiopie, les rugbymen d’Afrique du Sud, etc. Pour le foot, les meilleurs joueurs sont principalement originaires d’Amérique latine, d’Afrique de l’Ouest et de Corée.

À partir des années 90 s’instaurent de véritables réseaux qui importent de jeunes garçons et quelques rares filles (pour les équipes suédoises de foot féminin, par exemple). Les plus jeunes peuvent avoir six ans, même moins : on parle d’un presque bébé brésilien de 3 ans, que les clubs couvent d’un œil câlin ! Mais la plupart ont entre 12 et 18 ans : ces “jeunes pousses” transitent souvent par la Belgique, véritable plaque tournante de ce trafic, où ils sont formés avant d’être revendus une petite fortune à des clubs anglais, italiens, espagnols... On a même vu un club norvégien s’installer en Afrique du Sud pour faire son marché sur place.

“Le marché noir se développe”

En cas de succès, tout va bien ou presque. Si le pays d’origine ne reçoit aucune compensation, les footballeurs s’enrichissent et leurs familles aussi. C’est en cas d’échec que tout devient sordide car les mineurs se retrouvent à la rue, sans papier ni contrat, ni billet de retour, immigrés illégaux à la merci de n’importe quel contrôle de police. C’est ainsi que quinze d’entre eux, “importés” en Belgique, ont fait un procès et qu’à cette occasion, on a parlé de “trafic d’êtres humains” et même d’“esclavage”.
Du coup, en 2001, la FIFA a mis au point une nouvelle régulation : interdiction des transferts de mineurs et compensation financière pour les clubs formateurs. Comme le souligne le professeur Wladimir Andreff, “cela va dans le bon sens” mais, ajoute-t-il, “dès que l’on interdit quelque chose, le marché noir se développe”. D’autre part, les pays importateurs n’hésitent pas à faire des naturalisations expresses des meilleurs athlètes pour contourner ces fameuses régulations.

En 2010, si l’on en croit Le Monde du 10 juin 2010, repris de la revue Sport et Citoyenneté, il existe toujours l’“intermédiaire peu scrupuleux” qui “repère un jeune joueur et lui fait miroiter, ainsi qu’à sa famille, la possibilité d’intégrer un club en Europe et l’espoir d’une réussite... si le sportif ne parvient pas à se faire embaucher, l’intermédiaire l’abandonne le plus souvent à son sort.”

Où sont les clubs africains ?

Même constat dans L’Humanité du 29 mai 2010 sous la plume de Jean-Claude Mbvoumin, président de l’association Foot solidaire, qui s’inquiète des autres retombées perverses de l’effet Coupe du Monde. Comme Wladimir Andreff, il constate que l’argent ne profite ni aux populations locales, ni aux petits clubs formateurs. En effet, comment se fait-il que beaucoup de très grands joueurs de foot viennent d’Afrique de l’Ouest et qu’il n’existe pas de clubs africains dignes de ce nom ?
Pour éviter ce pillage, l’universitaire propose de frapper les clubs des pays riches là où ça fait mal. Au porte-monnaie. Pour freiner les transferts de joueurs, il reprend l’idée de James Tobin sur les mouvements de capitaux en surtaxant l’importation de mineurs, proportionnellement à leur âge. “Il faut rendre les transferts si coûteux que cela soit totalement dissuasif.” Cette taxe nommée Coubertobin irait à un fond géré par une organisation internationale, genre Programme des Nations unies pour le développement, qui construirait des stades et des piscines dans les pays formateurs, paierait des éducateurs et pourrait garder des joueurs.

Pour l’instant, rien n’est fait mais il note que “ces idées de taxation sont dans l’air”. Michel Platini, président de l’UEFA connu pour son sens de l’équité, commence à se préoccuper de ce problème et propose que les clubs les plus endettés soient interdits d’UEFA. En effet, les plus endettés sont ceux qui s’offrent les meilleurs joueurs et qui gagnent. Il y a donc une prime à ces pratiques dont abusent les clubs puissants comme la Juventus, le Real Madrid, Barcelone, Manchester, Chelsea… Le souci est que ce sont ces clubs qui font venir le public, les publicités et l’argent et que l’on imagine mal les sponsors accourir pour un match Standard de Liège contre Galatasaray.

Virginia

[1Voir à ce sujet “Une taxe contre la misère du football africain”, Afrique Contemporaine n° 233, 1/2010, pp.89-98.

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