LIVRES

Les netsuke d’oncle Charles

21 août 2014

Il est des livres comme des lieux ou des êtres humains. Il faut du temps pour les apprivoiser ou se laisser apprivoiser. Le lièvre aux yeux d’ambre [1] d’Edmund de Waal est de ceux-là.

J’ai mis presque un an pour apprivoiser ce livre-là. Ce "lièvre-là" puisque le titre en anglais est Le lièvre aux yeux d’ambre . Il m’a été offert par une amie, pas quelqu’un que je "like", une amie, une vraie de ce genre très rare dont Pierre Desproges disait : Les amis se comptent sur les doigts de la main du baron Empain, voire de Django Reinhardt, pour les plus misanthropes.

Proust et les autres

J’ai remercié, comme toujours un peu surprise par son choix, et j’ai vaguement regardé la couverture, plutôt fouillis, des photos 1900, des critiques dithyrambiques et quelques références à Proust qui m’ont tétanisées. Après avoir lu toute La Recherche, cette amie avait déclaré d’un air gourmand : "je vais me mettre Saint-Simon". Moi, pendant ce temps, j’avais lu tout Ed McBain et tout Patricia Cornwell jusqu’à l’overdose qui m’a submergée au dixième ; je m’étais lancée dans Henning Mankell, James Lee Burke, Michael McGarrity, Jussi Adler Olsen, Jo Nesbo, Stieg Larsson...

La peur du lièvre

The Hare with Amber Eyes s’est dissimulé dans toutes mes piles de livres et de documents, pointant la moustache pour me rappeler son existence au détour d’une histoire de Cixi ou des bijoux en plumes de martin-pêcheur. Nous nous sommes apprivoisés l’un l’autre. Je le prenais, lisais la quatrième de couverture et le reposais doucement, comme pour lui faire croire que je ne le rejetais pas vraiment. Cet été, je l’ai emmené en vacances et j’ai fini par attaquer le prologue, sans doute parce que mon amie va bientôt repasser par Paris avec une nouvelle surprise.

Les netsuke d’oncle Charles

Ce livre est une merveille. Edmund de Waal nous emmène avec lui dans la quête assez classique de sa famille, mais il nous fait suivre les méandres de ses recherches, de ses découvertes centrées sur l’extraordinaire collection de son oncle Charles Ephrussi, plus de 260 netsuke dont le fameux lièvre aux yeux d’ambre. Il nous convie à un voyage entre la frivolité de ces richissimes familles juives qui fondent le quartier de la plaine Monceau et la gravité de la montée de l’anti-sémitisme qui touche aussi bien les Ephrussi d’Odessa que les Rothschild de Francfort.

Art juif et goût Rothschild

L’ironie est que Charles Ephrussi est un grand amateur d’art, un mécène qui commande des toiles aux Impressionnistes et certains comme Renoir n’hésitent pas à l’insulter. Degas, autre anti-sémite notoire, reproche à Renoir de travailler pour des "financiers". Quand Charles Ephrussi achète deux toiles de Gustave Moreau, certains y voient la preuve du goût juif pour l’or. . Edmund de Waal se force à lire Drumont pour comprendre les insinuations sur ses ancêtres Ephrussi, les Rois du blé. L’affaire Dreyfus déchire la France.

Et le lièvre aux yeux d’ambre dans tout cela ? On a envie de le glisser au fond de sa poche. De le toucher, le polir du bout des doigts, tiède et doux, familier et exotique, sensuel. On a envie de le suivre encore... Je n’ai pas fini le livre d’Edmund de Waal mais il fallait que j’en parle tout de suite ! Suite une prochaine fois.

[1The Hare with Amber Eyes, édité en français sous le titre La mémoire retrouvée chez Albin Michel

Bookmark and Share flux RSS


form pet message commentaire
Qui êtes-vous ?