BEAUTE

La beauté vraiment maquillée

1er octobre 2010

Quand une femme a le blues, elle s’achète un rouge à lèvres. Celui qui est en couverture de son magazine préféré. Et cela ne donne jamais l’effet escompté. Histoire d’un petit mensonge institutionnalisé et généralisé dans la presse féminine.

Magnifique, ce rouge à lèvres, non ? La photo est une invitation à courir à la parfumerie la plus proche. Coup d’œil à la légende : Fruit défendu n° 5 de ZZ. Parfait pour redonner des couleurs à une journée, voire à une vie, glauque. Au retour, le miroir de la salle de bains est sans pitié. Bizarre, ce fruit-ci ressemble plus à une orange acide qu’à une cerise gorgée de sucre. Un rouge moins rouge et moins profond. Aucun rapport avec la photo. La faute aux lèvres ? À une maladresse infinie dans le maniement du pinceau ? Au PH de la peau ? Oui, certainement, et nous reviendrons dessus. Mais surtout, si cela ne rend pas pareil, c’est parce que le rouge de la bombe pulpeuse du magazine ne doit rien à celui de ZZ. Rien. Et, dans cette légende de douze lignes en marge du sujet Beauté de Grazia, Elle, Vogue ou un autre, rien n’est vrai, ou peut-être un produit, et presque par accident.

Comment se construit une piège à lectrices

D’abord, suivant la mode et la saison, on choisit le thème : ce sera rose tendre, effet pétales d’églantine, jeunes filles en fleurs, quoi ! Ou bien fatal, avec l’œil smoky, le teint pâle et la bouche écarlate, à la Rocky Horror Picture Show. Ou encore “glam”, “flashy”, etc. Ensuite, on retient le mannequin, le photographe, le coiffeur, le maquilleur et tout le monde se retrouve en studio. Certains maquilleurs de grandes maisons sont connus (Olivier Echaudemaison, par exemple), mais ceux-là sont plutôt des directeurs artistiques qui déterminent les couleurs de la saison et représentent l’entreprise. Cet été sera “bonbon acidulé”, “terre de Provence”, “nude”… Dans la pratique, ils n’assistent jamais aux prises de vue pour les magazines et laissent aux obscurs maquilleurs de studio le soin de faire les photos pour la presse. Obscurs parce que personne ne retient leur nom, écrit en tout petits caractères, mais hyper-pros. Chacun arrive avec son matériel, sa valise avec fards et pinceaux. Chacun les siens, ceux qu’ils connaissent bien et avec lesquels ils aiment travailler, qui résistent à la chaleur des projecteurs et à la transpiration. Ceux qui ne virent pas, que l’on peut retoucher et qui prennent bien la lumière.
L’idée est de créer du rêve et déclencher l’envie de s’offrir un peu du glamour de l’irréelle créature en quadrichromie. Nine Brunner, de MaqPro [1], marque française de produits pour les professionnels, les connaît bien : “Ils viennent chez nous pour nos fards-crèmes qui leur permettent de tout combiner à l’infini et, en dehors de cela, ils sont toujours à l’affût de la nouveauté.” C’est ainsi que cette maison a créé des fards à paupières irisés qui font un malheur. Pourtant, le conditionnement est une petite boîte de plastique qui n’essaie même pas de faire croire qu’elle est de l’écaille, de la laque ou quelque matériau sophistiqué. Quant aux noms, ils sont loin des Frissons givrés sur Kyoto et autres Murmures du Hoggar. Ce sont en général des numéros. Le stick 120 de MaqPro qui se substituait au Blanc de Chanel qui “ne prenait pas bien la lumière”, était loin du raffinement des boîtiers noirs, frappés du double C. Quant à la poudre libre qui fixe le teint à la perfection et résiste à l’eau, rien à voir avec les Météorites de Guerlain. Météorites, un nom beau comme une pluie d’étoiles sur Andromède… Mais c’est pourtant encore chez MaqPro que Pat McGrath, réputée “la meilleure maquilleuse au monde”, va faire ses courses ou envoie ses assistantes. Dans les mallettes des maquilleurs, on trouvera tout de même aussi un peu de Shu Uemura, du Paris-Berlin, du MAC, un rouge à lèvres Bourgeois sublime, plus du Chanel et un gloss Dior, des fards Iman, du Lancôme

Chanel ou Photoshop ?

D’innombrables photos avec filtres et lumières travaillées, quelques retouches sur ordinateur grâce à Photoshop et finalement, le visage apparaît sur écran, plus beau que nature, d’une perfection qui n’est pas de ce monde et qui va nous rendre malades. Ce qui est le but de la manœuvre. Reste à attribuer la paternité de ce maquillage à une marque.
“Allo, Lancôme ? Seriez-vous intéressé par notre couv de juin ? Allo, Guerlain ? Allo Saint-Laurent ? Allo, Dior ?…” La sublime photo est envoyée, autrefois par coursier, aujourd’hui par mail. Le choix est déterminé par le fait que le style s’accorde ou non avec l’image de la maison. Si la palette de Chanel ce printemps est beige, terre d’ombre et ocre, pas question d’acheter les crédits d’un maquillage de geisha. Si Givenchy est dans le glittery, inutile de légender un visage nude. Logique, non ? Style, couleurs et aussi milieu socioprofessionnel des lectrices pèsent dans la balance. Il y a peu de chance que Guerlain cherche à capter les lectrices de Femme actuelle. En fait, aux dires mêmes du service de presse de cette référence absolue en matière de parfums et de cosmétiques, “le tiercé gagnant est actuellement Votre Beauté, Madame Figaro et Grazia”.
Finalement, le “gagnant” aura le droit d’inventer une légende mensongère, de faire croire que ce teint sublime sort de sa palette : l’ombre à paupières, le blush, le mascara, le correcteur et tout ce que l’on peut imaginer. Il lui en coûtera le salaire du mannequin, du maquilleur, du coiffeur et du photographe, le studio restant à la charge du journal. Avec les années, les descriptions des produits supposés avoir été employés sont de plus en plus longues, puisqu’aux produits de maquillage s’ajoute presque toujours un soin de mise en beauté. Et voici pourquoi votre rouge n’a rien d’une cerise et tout d’une orange.

Secret de Polichinelle

Dans la profession, tout le monde est au courant de cette pratique mais, comme le dit Clem, ex-mannequin vedette, “Ça ne se dit pas. Toutefois, il y a tellement de paramètres qui interviennent dans une photo que, de toutes façons, même si on employait les produits prétendus dans la légende, cela ne correspondrait pas non plus”. En effet, chaque peau fait réagir les fards à sa manière, chaque photographe peut donner la tonalité qu’il veut à sa photo quand il la prend et quand il la traite. Et finalement, l’impression du magazine apporte aussi son lot de surprises…
Alors, pourquoi pas ? Parce que cela reste de la publicité mensongère. D’accord pour rêver devant de magnifiques photos qui ne correspondent à rien, mais encore faut-il ne pas donner de fausses recettes de beauté…

+ SUR LE SUJET Les bons produits conseillés par Frédérique Alcaraz, maquilleuse professionnelle.

[12ter rue Alasseur, 75015 Paris. 01 42 25 10 11 et www.maqpro.com

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