ENGAGEMENTS

Maraude avec la Croix-Rouge (2)

10 octobre 2011

Un jeudi soir comme les autres à Paris. Les uns commencent le week-end dans les bars et restaus. Les SDF dorment dans les encoignures de porte et les bénévoles de la Croix-Rouge vont prendre de leurs nouvelles.

Un des points les plus frappants de cette maraude est la quasi absence de femmes. Max me précise qu’elles ne représentent environ que 10% (chiffre en augmentation d’année en année ) de l’ensemble des SDF mais que lorsqu’elles arrivent dans la rue, elles sont totalement détruites, plus que les hommes dont le cheminement jusqu’au trottoir suit presque toujours le même engrenage : alcoolisme, perte d’emploi et rupture avec la famille. Il ajoute aussi que plus de la moitié des sans abri souffrent de pathologies psychiatriques, du désormais classique implant mis sous la peau par des aliens à l’hologramme de la Vierge qui surgit des pages d’un livre…

L’été, on laisse dormir

Après Mary et Serge, nous continuons notre périple. Assis sous un abribus, un homme attend on-ne-sait-quoi. Laure s’approche et lui demande s’il a besoin d’aide. Il refuse laissant entendre qu’il attend son bus de nuit. Personne n’est véritablement dupe mais nous partons sur un « bonsoir », comme si on le croyait. Il n’est pas dehors depuis longtemps et n’a pas encore intégré les codes de la rue. Rue de l’Epée-de-Bois, un couple dort. L’équipe les reconnaît, signale à la coordination qu’ils sont là et qu’ils vont bien, semble-t-il. Il n’y a que l’hiver que l’on réveille les SDF pour vérifier qu’ils ne sont pas en hypothermie.

Le Diogène du Ve

Rue Calvin, Max, Laure et Alexis se répartissent les tâches. Max, le chef d’équipe, se chargera des plus récalcitrants, Alain et Maurice, qui sont un peu plus bas et risquent de mal prendre la présence d’une journaliste. Nous on va voir Zoltan, le chéri de ces dames ! On me prévient : Zoltan peut parler des heures. Je n’aurais donc aucun effort à fournir pour qu’il me raconte sa vie.

Il est allongé sous une sorte de balcon qui surplombe la rue comme si les architectes avaient pensé aux futurs SDF qui viendraient y loger. On dirait une couchette de wagon-lit. A côté de sa tête une jolie petite marmite en inox brille sous le réverbère. « Bonsoir Zoltan, ça va ? » Il se redresse d’un coup, totalement nu dans sa couverture. Il se la drape à l’endroit stratégique comme sur un tableau classique de Diogène devant Alexandre. Il rit de plaisir en reconnaissant l’équipe et, la prunelle très allumée, lance des compliments à Laure. La seule femme qui soit plus belle qu’elle est une infirmière à l’Hôtel-Dieu qu’il appelle « Chérie ». Zoltan a servi dans l’armée hongroise, dans la Légion Etrangère, et il a fait de la prison où il s’est fait tatouer. « Mais c’était moche » . Alors il a tout fait recouvrir par un autre tatouage, plus grand. Bien sûr, les mots dépassent un peu des ailes de la chauve-souris-araignée géante qui s’ébat sur ses avant-bras mais il s’en moque. Zoltan est un philosophe, du moins en apparence. Tout semble lui plaire et même le fait qu’il n’ait pas vu ses enfants depuis 14 ans n’a pas l’air de trop lui peser. « Votre fille est à Toulouse, c’est ça ? – Non, elle est en Allemagne. » Il prend de la soupe, du chocolat et des rasoirs pour ses voisins qui veulent toujours piquer le sien et dispose ses affaires sur le rebord du mur comme une ménagère qui range ses emplettes. Un jour il a laissé ses moustaches pousser jusqu’à sa poitrine mais personne n’a le droit d’y toucher à part lui, ce sont les « moustaches de Zoltan ». Sa marque en quelque sorte, sa fierté d’homme.

Dépression au coin de la rue

Il est déjà 23 h et il il faut retourner au local. Sur le chemin du retour, c’est le grand debriefing. J’admire le cocktail de sérieux et de vraie gentillesse. Tout à coup, dans un recoin, Alexis remarque un homme en boule dans un sac de couchage. C’est Jacques, l’ancien prof qui a tout perdu à cause de l’alcool. S’il travaille encore, il ne peut s’offrir de logement et sa copine l’a quitté. Il a l’air de souffrir, peut-être à cause de la vilaine blessure qui lui barre le front dont on ne sait comment il se l’a faite. Chute ? Bagarre ? Il a perdu ses papiers et ses ordonnances pour du Valium. Il est ravagé par l’angoisse. Un peu de jus de fruit et le reste des victuailles pour le petit déjeuner de demain ? Il est comme un noyé qui s’accroche à une bouée. L’équipe est désolée devant cet homme encore propre et soigné à qui elle n’a que peu à offrir. « Retournez au CMP [1] demain matin, ils vont s’occuper de vous » .

En remontant vers Saint-Etienne-du-Mont, nous retrouvons les fêtards qui profitent de la tiédeur de la nuit. On rit beaucoup. On boit beaucoup. Cette automne a un vrai parfum d’été et d’insouciance.

VOIR AUSSI http://www.lemondecommeilva.com/maraude-avec-la-croix-rouge,284

Si cet article vous a touché, sachez que la Croix-Rouge recherche en permanence des bénévoles, des dons en argent et des vêtements...

Max et son équipe vous attendent sur : http://paris05.croix-
rouge.fr/

Le premier Diogène est de Raphaël, le second de Nicolas-André Monsiau et le troisième de Jacques Gamelin.

[1Centre Médico Psychologique

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