84 Le jardinier de Moisillon

6 septembre 2011

La gendarmerie de Nogent-le-Rotrou avait dû passer le matin appréhender Marcel Blain, jardinier personnel de Lucile Delarue, et sur la route glissante qui les menait à Moisillon, Vogel et Beaudoin essayaient de comprendre comment ils étaient passés à côté de cette piste.
“Ce sont ces histoires de chantage qui nous ont obnubilés.”
“Les histoires de cul aussi.”
“Oui, mais des dossiers secrets, c’est excitant.”
“Et les vidéos pornos ?”


“Pas très excitant, non…Plutôt glauque.”
“De toutes façons, on ne sait pas pourquoi il a fait ça, le jardinier. Peut-être une autre histoire de cul. Tu te rappelles sa tenue, genre affriolant, avec des mules de pute, un déshabillé de pute…”
“Tu crois qu’elle cherchait à l’exciter ?”
“Peut-être même pas. Peut-être que ça l’excitait, lui, et qu’elle ne s’en rendait pas compte.”
“Arrête, elle n’était pas stupide à ce point.”
“Stupide, si je crois, mais dans sa tête, à elle qui se disait née dans une famille aristocratique ou je-ne-sais-quoi, Blain n’existait pas. C’est un manuel et ces gens-là ne ressentent rien comme nous.”
“Peut-être. Mais il n’y a pas eu tentative de viol.”
“Je sais. Juste un peu de terre des jardinières sur la moquette dont on ne s’est absolument pas occupé.”
“D’accord on a été nuls.”

Ils s’étaient laissés aveugler par des détails sensationnalistes et avaient ignoré l’essentiel.
“Mais comment deviner qu’une journaliste de la presse chic, quadrichromie et papier glacé, se ferait enfoncer le crâne par un repiqueur de pétunias !”
“Beaudoin, ton incompréhension du monde rural m’effare : un jardiner n’est pas un "repiqueur de pétunias". En fait, tu es bien comme Lucile, méprisant pour les manuels.”
“Merde ! Tu n’as pas deviné non plus, même si tu sais la différence entre une laitue et une batavia.”

Ils avaient rendez-vous avec les gendarmes au café-bureau-de-poste-charcutier, comme la première fois, et ils eurent la surprise d’y trouver seulement le chef des travaux, Lelièvre
“Vous avez trouvé Blain ?”
Lelièvre s’avança en haussant les épaules
“Il y a bien longtemps qu’il a quitté le pays. Je ne sais même pas s’il était encore là quand vous êtes venus la première fois. Pas sûr.”
“Il est où ?” demanda Vogel tandis qu’ils s’attablaient devant des tasses de café fumant. Le chef jardinier qui ne semblait pas pressé de raconter son histoire, fixa un point au-delà de la fenêtre, au-delà de la buée qui cachait le clocher couvert de tuiles plates. Comme Vogel et Beaudoin attendaient visiblement qu’il sorte de sa rêverie, il se décida enfin, dès qu’il eut fini la première tasse et demandé un "calva pour réchauffer le cœur des braves".


“Il est parti chez son cousin, le Terre-neuva. Il en avait marre d’être ici, surtout avec la défunte qui ne faisait que l’emmerder. C’était un type fragile et elle l’a tout de suite senti. C’est bizarre les gens, ça sent qui ils peuvent emmerder. C’est comme les animaux. Elle lui disait "Marcel, pourquoi mes lys ne sortent pas ? Je suis sûre que vous n’avez pas suivi mes conseils". Tout le temps comme ça. Il était pas méchant, alors, elle le martyrisait encore plus. Elle le faisait venir à Paris parce que les jardiniers n’y sont pas bons. Cela ne voulait pas dire que Marcel, il était bon. C’était juste pour dire du mal. Il prenait le train, passait sa journée à essayer de ne pas se faire voir par le jardinier de l’immeuble et revenait le soir, crevé. Ni merci, ni rien, même pas un petit billet par-ci, par-là. Juste une fois un pull. C’est parce qu’il n’allait pas à monsieur et un nœud-papillon aussi. Mais il se rendait bien compte, le Marcel, que c’était pas pour lui. Il ne comprenait pas que c’était juste pour ne pas le payer mais il voyait bien qu’il était ridicule avec son truc de guignol. Un jour, il a essayé de le mettre, son machin de clown, on s’est tous marré. On aurait dit un ruban pour mettre autour d’un œuf de Pâques. Elle lui avait dit "comme ça, vous allez plaire à toutes les filles." Tu parles, d’abord les filles, il y en a pas beaucoup ici et elles sont pas plus bêtes qu’ailleurs.”

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