83 La concierge est dans la cour

31 août 2011

“C’est la police, madame, inspecteur Beaudoin. Il parait que vous souhaitiez que l’on passe…”
La grosse dame qui ouvrit semblait sortir d’Un Américain à Paris. The French concierge. Et comme dans un film, elle lui sourit largement tout en geignant vaguement au sujet de cet appentis dans la cour qui servait à ranger les outils du jardinier.
“Vous comprenez, madame Delarue m’avait demandé de le mettre à la disposition de son jardinier personnel mais il serait plus utile pourles poussettes d’enfants ou les vélos, non ?”
“Bien sûr ! Pourquoi ne le faites-vous pas ?”
“A cause des outils et de tout ce bazar qu’il a laissé, sa salopette, ses trucs quoi ! Je n’avais pas demandé qu’on m’envoie un inspecteur, un simple gendarme aurait suffi pour déblayer la guitoune.”

Elle partit vers le fond de la jolie cour pavée, emmitouflée dans un châle de laine crochetée mauve et il superposa la vision de Alex dans sa couette.
“C’est là”, pointa-t-elle du doigt.
Derrière ce qui était visiblement le local à poubelles, il aperçut une porte vitrée au travers de laquelle il ne distingua pas grand chose.
“C’était qui ce "jardinier personnel" ?” s’enquit-il.
“Un pauvre gars de la campagne. Elle disait qu’il n’y avait que lui qui saurait d’occuper des jardinières. Il venait une fois par semaine, par le train, à Montparnasse. Il passait la journée à gratter, désherber, planter et il repartait le soir. Un pauvre gars, pas trop malin je crois. Elle ne le payait même pas en plus. Elle disait comme ça "qu’il travaille pour moi ici ou à la campagne, c’est pareil". Enfin, ça m’étonnerait qu’il revienne maintenant s’occuper des jardinières…”
“Pourquoi ?” demanda-t-il distraitement.
“Et bé ! parce qu’elle est morte pardi ! Le soir du dernier jour qu’il est venu même ! Il a dû avoir peur après. Ç’aurait pu être lui la victime, non ?”

La victime, non mais… Brusquement, Beaudoin sentit son pouls s’accélérer, ce qu’il ne pensait plus possible ni dans cette enquête ni dans ce métier.
“Vous avez la clef ?”
“Oh, dans ces vieilles maisons, toutes les clefs marchent…" répondit-elle en ouvrant la porte.

Le sol était jonché de feuilles sèches, comme si le jardinier n’avait pas eu le temps de nettoyer avant de courir prendre son train. Les outils étaient appuyés dans un coin et, en tas, il vit ce qui ressemblait à un bleu de travail. Beaudoin l’inspecta du regard sans le toucher, apercevant des tâches sombres qui n’étaient peut-être pas de la terre.
“Vous avez une lampe-torche, par hasard ?”
“Pourquoi ? C’est grave ?”
Entendant l’excitation qui montait dans la voix de la gardienne, Beaudoin choisit de s’en débarrasser au plus vite.
“Non, non. Je voudrais juste voir où je mets les mains. Je ne suis pas exactement équipé pour vider les recoins crasseux,” déclara-t-il d’un ton sec.
Vexée, elle partit en vitesse et revint en grommelant qu’elle avait d’autre chose à faire qu’à aider la police.

“Alors, allez-y, je peux me débrouiller seul.”
Avec un mélange de réticence et de dignité offensée, elle finit par disparaître et Beaudoin put enfin examiner plus soigneusement la salopette. Elle avait l’air raide de sang au premier coup d’œil. Il referma la porte et alla frapper à la porte de la loge.
“C’est quoi encore ?” Le ton n’était plus à l’amabilité ce qui contrastait avec l’odeur délicieuse qui filtrait sous la porte.
“Je peux utiliser votre téléphone ?”
“Est-ce que je peux dire "non" ?”
“Non, je ne crois pas. Mais si vous préférez, je vais à une cabine et je reviens tout à l’heure.”
Elle glissa la tête dans l’entrebaillement et devinant que la police était sur le sentier de la guerre, elle ne put supporter l’idée que cela se passe ailleurs que chez elle.
“Entrez vite, cela refroidit la maison.”
Elle le fit entrer dans sa salle de séjour, disparaissant dans la cuisine où mitonnait le diner.
“Vogel ? C’est Beaudoin. J’ai fait ce que tu m’as demandé mais je crois qu’il serait bien que tu viennes aussi,” annonça-t-il prudemment.
“Qu’est-ce qui se passe ? La concierge fait un scandale ?”
“Non, non, mais j’aimerais avoir ton avis”, continua-t-il avec la même circonspection, sentant physiquement le silence que s’imposait la femme pour mieux entendre.
“Tu as trouvé quelque chose ?”
“Je le pense,” admit-il sur le ton le plus léger possible.
“On vient à plusieurs ?”
“Pourquoi pas ?”
“Est-ce que je sens une jubilation rentrée dans ce ton volontairement indifférent ?”
“Peut-être,” conclut-il en souriant avant de raccrocher.

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