81 Amour et puits d’amour

25 août 2011

Elle lui jeta un œil inquisiteur :
“Tu viens ou on mange les puits d’amour maintenant ?”
“Il n’y a qu’un puits d’amour qui me tente vraiment.”
“Il t’attend.”
Sa voix s’étouffa brusquement et il se jeta sur elle tout en essayant de se déshabiller le plus rapidement possible.

Elle fut dans l’amour ce qu’elle était dans la vie, à la fois passionnément présente et un peu lointaine, fondant dans ses bras et s’éclipsant dans le même mouvement. Douce et impitoyable. L’inspecteur Beaudoin se dit qu’il ne pourrait plus jamais vivre sans elle quand elle se redressa d’un geste gracieux et demanda à manger. Il la regarda croquer la pellicule de caramel et lécher la crème, rêvant que c’était lui qu’elle dégustait avec cet appétit. Elle s’était pelotonnée dans la couette plus à cause du froid que par pudeur lui semblait-il et il aurait voulu que cette après-midi n’ait jamais de fin.
“Tu as du thé quelque part ?”
“Non, du café, mais j’en achèterai si tu veux.”
Elle le regarda silencieusement, refusant de donner la moindre indication sur ce qu’elle pensait de leurs relations futures.
“J’aime bien le café aussi.”

Il essayait de décrypter ce qu’elle disait. Aimait-elle vraiment le café ou n’avait-elle aucune intention de revenir ? Il plongea son regard dans les yeux clairs : elle souriait avec langueur, un peu fatiguée et repue à la fois. Elle reviendrait, c’était sûr. Il partit faire chauffer de l’eau dans sa minuscule cuisine et quand il revint, il eut la surprise de voir qu’elle s’était endormie, la main agrippée à un oreiller. Il resta à la contempler ainsi, fragile dans le sommeil et redoutablement mystérieuse. Ses paupières fermées la lui rendaient encore plus inaccessible et la solitude le prit à la gorge. Il s’approcha de sa bouche pour entendre son souffle et il en profita pour l’embrasser et la réveiller, incapable de garder le silence devant ce visage dont il aimait chaque détail et qui s’absentait sans prévenir. Elle grogna vaguement et s’excusa de s’être assoupie :
“Tu m’as tuée, tu sais ?”
Elle savait le rassurer d’un mot, d’une inflexion de voix.
“Il vient ce café ou j’ai dormi trop longtemps et tu as tout bu ?”
Elle plaisantait à présent, un sein émergeant à demi de la couette. Elle regarda l’heure à la pendulette électrique qui jetait une lueur verte à sa moquette et il eut peur qu’elle ne parte. Il redoutait par dessus tout qu’elle ne fasse une allusion à ses enfants. Mais elle ne dit rien de semblable. Elle n’était visiblement pas pressée.
“Alors, l’enquête, ça avance ?”
Il haussa les épaules.
“Pas vraiment. On a l’impression de savoir tout sur tout le monde ou presque, sauf l’essentiel : qui a tué Lucile ?”
“Ce n’était donc pas Charlotte ?”
“Non bien sûr. Ni toi. Ni Ginette Brons. Ni Jeanne Riguidel. Ni la maitresse. Ni Saunders. Ni personne. Ou tout le monde à la fois. Comme si elle avait semé tant de haine qu’un jour quelqu’un, on ne sait pas qui et, au train où vont les choses, on ne le saura jamais, et je m’en fous complètement, quelqu’un donc avait ramassé ce trop-plein de haine et avait fait ce qui s’imposait. C’est idiot ce que je dis ?”
“Non, non. Un peu bizarre peut-être pour un inspecteur de police promis à un avenir brillant. C’est plutôt une idée de moraliste.”
Il soupira.
“Je quitte la police à la fin de cette histoire. Cela t’étonne ?”
“Mon expérience en ce domaine est un peu limitée mais j’espère que chaque inspecteur ne démissionne pas devant son premier cadavre.”
“Ce n’est pas seulement ça. C’est toi aussi.”

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