72 Chacun doit payer sa dette

28 juillet 2011

Il s’arrêta pour juger de l’effet de ses paroles. Devant leur silence poli, il continua :
“D’une certaine façon, je l’aimais bien.”
Beaudoin imagina aussitôt Alex répétant ironiquement "d’une certaine façon, en effet !" et surprit dans le regard de Vogel quelque chose du même ordre. Comme Balinaud semblait avoir fait le tour de ce qu’il voulait dire, il fallut insister un peu :
“C’est-à-dire ? Vous l’aimiez assez pour aller la rejoindre à la campagne.”
“Ce n’est pas ça.”
“Vous n’alliez pas partager ces jeux érotiques dont nous avons des cassettes entières ? Visiblement vous l’aimiez, oui !”
Balinaud se tassa un peu.
“Quand je dis que je l’aimais, ce n’est pas ça. Ni moi, ni elle n’aimions ce que vous avez vu. Nous n’aimions pas le faire, croyez-moi, et savoir que Lannois filmait n’arrangeait rien.”
“Vous aviez peur qu’il ne se serve de ses cassettes pour vous faire chanter ?”
“Non, pas vraiment. On le voit aussi et cela ne ferait pas pas très chic pour notre cher grand académicien.”
“Pourquoi alliez-vous vous habiller de cuir dans un coin perdu de Normandie si cela ne vous plaisait pas ?”


“C’est Lannois qui m’a fait entrer chez Saunders.”
“Vous poussez la reconnaissance un peu loin, non ?” ironisa Vogel.
“Ecoutez, ce n’est pas facile d’arriver au poste où je suis. J’en ai parfaitement les compétences mais le journalisme n’est pas affaire de compétence. Enfin pas comme ça. Pas seulement. Vous entrez parce que vous connaissez quelqu’un. Si vous êtes compétent, tant mieux mais ce n’est pas pour cette raison que vous êtes engagé. C’est un hasard heureux.”
“Et vous, vous connaissiez Lannois. Et pour le remercier vous passiez vos week-ends à le détendre avec Lucile.”
“Non. Lannois connaissait des choses sur mon passé qui, si elles avaient été divulguées, m’auraient interdit ce poste.”
“Question de mœurs ?”
Balinaud jeta un œil traqué.
“De mœurs ? Non, pas du tout.”
“Il est en effet de notoriété publique que vous ameniez vos amants au domicile conjugal, que vous les imposiez à votre femme et à votre fils.”
Il se ratatina encore plus sur le fauteuil, les rides qui joignaient les ailes de son nez au menton semblaient dessinées au charbon de bois, tout comme les cernes de ses yeux.
“Qui vous a dit cela ?”
“Tout le monde le sait, pourquoi pas la police ?”
“C’est la petite Vanessa Schmidt ?”
“Non.”
“Parce qu’elle me doit son engagement.”
“Nous savons cela aussi. Parlez-nous plutôt de ce que Lannois savait d’original sur vous qui vous obligeait à ces exhibitions déshonorantes.”
“Ce que je voudrais que vous sachiez absolument, c’est que Lucile n’aimait pas ces séances plus que moi. Je la connaissais suffisamment pour en être sûr. Il l’a connue quand elle était très jeune...”
“Soyez assez aimable pour nous éviter l’historique. Nous savons tout cela,” l’interrompit Vogel.

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