70 On se fait une petite vidéo ?

19 juillet 2011

Vogel eut toutes les peines du monde à joindre l’illustre Jean-Charles Balinaud. Une secrétaire à la voix aigre commença à lui expliquer que M. Balinaud était un homme très occupé, qu’il était en conférence de rédaction, puis qu’il avait un rendez-vous et que ce serait très difficile de l’avoir en ligne à quelque moment que ce soit.
“Passez-le moi, c’est tout ce que je vous demande. Il jugera de lui-même s’il est important ou non qu’il me rencontre.”
“Mais je ne peux décemment pas l’interrompre en pleine conférence ! C’est une faute professionnelle. Il va me faire renvoyer, c’est sûr.”
“Si ce n’est pas lui qui vous renvoie, c’est moi qui vous fait embarquer !” finit-il par aboyer.
Un petit bruit étranglé lui fit comprendre que sa menace avait été enregistrée et miraculeusement il entendit presque immédiatement une voix masculine demander d’un ton exaspéré :
“Oui, Balinaud à l’appareil, c’est à quel sujet ?”
“Commissaire Vogel, je voudrais vous parler.”
“Et de quoi s’il vous plait ? Ma voiture est mal garée ?” ironisa-t-il pour le public de jeunes journalistes dont Vogel distinguait les fous-rires serviles en arrière-fond.
“Monsieur Balinaud, je ne m’occupe pas exactement d’infraction au stationnement,” reprit-il doucement. Il allait prendre un plaisir extrême à faire sourdre l’inquiétude chez ce crétin prétentieux.
“Non, alors, quel est mon crime ? Car il faut au moins cela pour déranger un commissaire.”
Les rires redoublèrent, c’était la course à la promotion rapide. Vogel imaginait la scène et attendait le moment propice pour lui faire ravaler sa morgue.
“Comme vous le savez, le crime concerne Madame Delarue ou Lannois si vous préférez.”
“Et alors ? Je ne vois pas ce que j’ai à faire avec cette femme.”
La voix se fit un soupçon plus stridente, une variation sensible uniquement pour une oreille attentive, qui fit sourire Vogel avec gourmandise. Il y avait du chat en lui.
“Aujourd’hui plus rien, c’est évident.”
“C’est-à-dire ?”
“Rien. Pourriez-vous passer à mon bureau ?”
“Il n’en est pas question. Je ne sais ce que vous avez dit à cette sotte de Madame Duparc pour la terroriser ainsi mais moi je n’ai pas de temps à vous consacrer.”
Vogel devina qu’il essayait de reconquérir son public qui avait du sentir son changement de ton. Après l’ironie amusée, il choisissait l’autorité du chef de rubrique qui a d’autres chats à fouetter.

“C’est dommage. Vous préférez que je vienne ?”
“Mais c’est de la persécution ! Je ne connais rien à cette histoire et n’ai par conséquent rien à vous dire.”
Vogel sourit de béatitude dans le combiné de son téléphone.
“Mais je ne vous demande pas de me dire quoi que ce soit. J’ai juste quelque chose à vous montrer.”
Le silence qui suivit rassura Vogel sur ses capacités à plonger ce pompeux imbécile dans la terreur la plus abjecte. Il continua sur le même mode extrêmement aimable :
“Vous avez bien des magnétoscopes dans un journal, j’imagine…”

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