63 La chambre de Barbe-Bleue

30 juin 2011

“C’est la chambre ?”
“Je ne sais pas. Je n’y suis jamais entré. Ni personne ici.”
“Comment ça ? Quelqu’un a bien fait les travaux ?”
“Personne d’ici.”
“C’est mieux que le château de Barbe-Bleue ici. Il y a une petite clef ?”
“Je ne sais pas, moi. Je vous dis que personne ici n’est jamais entré.”

La porte s’ouvrit sans difficulté sur une autre, capitonnée elle aussi et finalement sur la chambre. La pénombre régnait et ils cherchèrent le commutateur à tâtons le long des murs capitonnés également. Finalement, c’est Vogel qui marcha sur un bouton électrique et la pièce s’illumina d’un coup. Lannois n’avait pas lésiné sur les spots, il aimait voir ce qu’il faisait. Il aimait avoir de la place aussi, le lit était circulaire, genre Playboy mansion de sous-préfecture.Il aurait suffi à une famille au complet. Il aimait les souvenirs si l’on en jugeait par les appareils, polaroïd et vidéo, posés sur des poufs, et le magnétoscope.
“J’aurais bien fait de regarder les petits pornos de la 6, c’est toi qui avais raison,” finit par dire Vogel en pointant les menottes accrochées au mur du fond à côté de fouets et de colliers de chien.
“Quand on croit que les gens vont à la campagne pour renouer avec la vie saine... Bon, on se fait une petite toile !”
Vogel toussota en lui indiquant du regard le malheureux jardinier sur le pas de la première porte.
“Connaissiez-vous les amis que M. et Mme Lannois recevaient ici ?”
“Pas ici, non. Dans la maison, oui. Certains. Mais les gens venaient plutôt tard le soir”.
Vogel entrouvrit un tiroir de ce qui tenait lieu de table de nuit, chaine hi-fi et télévision et en sortit un cahier. C’était présenté comme un livret scolaire avec des dates, des annotations et des photos. Il s’agissait d’une sorte d’aide-mémoire des séances les plus réussies avec des polaroïds hideux mais extraordinairement explicites. Les héros en étaient toujours Lucile et un homme qui n’était pas Lannois. Ce dernier était tantôt le paparazzi qui mitraillait le couple dans les positions et les situations les plus baroques tantôt un acteur. Dans le coin de chaque page se trouvait le numéro de la cassette où étaient enregistrées ces acrobaties impérissables.
“Impressionnant travail, même au cœur de l’action, le maître est un vrai petit archiviste !” ironisa Vogel.
Choisissant un polaroïd plus net que les autres, il le tendit au jardinier.
“Vous le reconnaissez ?”
“Pour ça oui ! Il venait presqu’à chaque fois dans sa Peugeot métallisée.”
“Vous ne connaitriez pas son nom par hasard ?”
“Non. Mais il a dû faire réparer sa voiture une fois, à Nogent-le-Rotrou. Là ils doivent avoir ce que vous cherchez.”

Après l’avoir remercié, les deux policiers se mirent à fouiller la chambre et finirent par trouver les cassettes vidéo. Parfaitement étiquetées, à première vue, elles n’offraient pas une grande variété de programme. Les Lannois faisaient dans le sado-maso soft avec une Lucile irréelle, sanglée dans une guêpière dont le but était de faire ressortir ses fesses colossales. Le comparse était visiblement là pour remplacer les forces défaillantes du petit académicien rubicond que l’on voyait se faire fouetter sans conviction par une Lucile masquée. Il y avait quelque chose de profondément obscène dans ce corps flétri, à quatre pattes devant cette grosse dame blême que le troisième larron essayait de prendre par derrière.

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