61 Des fleurs, des fruits et des branches

19 juin 2011

“Quels pommiers ?” demanda Vogel manifestement plus à l’aise sur ce que représentaient ces histoires de plantations que dans l’univers de la presse.
“Le verger du presbytère ! Derrière le bâtiment, il y a un magnifique verger avec des pommiers centenaires. Au printemps, il y a les fleurs et à l’automne, on fait le cidre. Ce sont de bonnes petites pommes râpeuses qui font un cidre un peu trouble mais qui a du goût. Comme il n’y a plus de curé depuis une dizaine d’années, chacun allait cueillir ses pommes. C’était "le cidre du curé".”
Vogel acquiesça d’un air entendu, il savait la valeur d’un verger, le prix de la tradition, tout ce qui faisait que ces pommiers étaient rigoureusement intouchables et Lelièvre, le chef jardinier, continua, rassuré de parler à un connaisseur et non à un Parisien qui croit que les pommes poussent dans des barquettes en plastique.
“Au printemps, elle s’est mis dans la tête qu’elle détestait ces vieux troncs tordus, qu’ils lui faisaient peur, qu’ils étaient un nid de vermine, qu’elle avait été piquée par des frelons qui logeaient dans les branches.”
“Elle avait été piquée ?”
“Jamais, une piqure de frelon ça se voit ! Et ici, il y a surtout des taons et des guêpes. Mais elle a juré qu’il avait fallu qu’elle aille se faire soigner à Paris dans un centre antipoison parce qu’elle étouffait.”
Les deux enquêteurs sourirent involontairement, déjà habitués aux histoires de santé de Lucile Delarue.
“De toute façon, il ne fallait jamais la contredire sinon elle se lançait dans des récits encore plus extraordinaires. Moi, j’ai juste dit "une piqure de frelon ? Où ça ?". Elle a dit que je me moquais bien de sa douleur mais que son médecin avait dit qu’il fallait l’emmener tout de suite à l’hôpital. J’ai demandé "le docteur Moncornet ?" Elle s’est mise à crier "parce que vous croyez que je confie ma santé à votre petit médecin de campagne ? Il est juste bon à soigner vos vaches !". Enfin, ce n’est pas bien de raconter ça. Elle est morte mais il faut dire qu’elle était difficile,” conclut-il sobrement.

Vogel et Beaudoin furent très frappés de constater qu’ici aussi, chacun avait une anecdote qui mettait en scène cet étrange cocktail de bêtise et d’autoritarisme, ce que Alex Lombard appelait sa "folie ordinaire". Tous les artisans défilèrent avec des histoires qui se recoupaient et s’enchainaient dans une sorte de litanie de plus en plus lassante. "Elle me parlait comme à un demeuré parce que je ne connaissais pas son décorateur préféré". "Elle m’a fait changer les caméras de surveillance parce qu’elle pensait que je lui avais fait payer des occasions au prix de neuves"."Elle a piqué une crise parce que son chat s’était échappé dans le jardin et que je ne l’avais pas vu"." Elle ne faisait jamais ses courses ici, elle apportait tout de Paris"...

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