54 Chantage à la petite semaine

31 mai 2011

“J’ai pourtant entendu dire que vous étiez intervenu personnellement et de façon répétée pour maintenir Madame Delarue en place.”
Saunders leva une paupière à peine intéressée.
“Quoi de plus normal : finalement c’était elle la joie de vivre de ce pauvre Lannois.”
“C’est donc pour Lannois que vous alliez arbitrer ces querelles avec Madame Liévin, Madame Riguidel et je-ne-sais-qui encore.”
“Vous voulez le savoir ? Ces bonnes femmes m’horripilent mais c’est vrai que Lannois était très attaché à sa grosse poupée et que j’ai beaucoup d’estime pour lui.”
“Un homme remarquable en effet, et tellement bien documenté...”
Saunders se leva sans hâte. Beaudoin fut surpris de le trouver encore plus dense qu’assis. Il marcha vers sa terrasse sans fleur et se concentra sur l’horizon.
“Vous avez trouvé quelque chose ou vous jouez aux devinettes ?” demanda-t-il finalement. Sans attendre de réponse, il poursuivit. “Quoi qu’il en soit, je n’ai pas tué cette femme. Je devais être en avion entre Pointe-à-Pitre et Paris. Pour Lannois, sachez que je ne règle pas mes affaires comme cela surtout après tant d’années de bons et loyaux services et que je n’ai jamais eu à me plaindre de la façon dont nous nous entendions, lui et moi.”
Il parlait sans hâte ni colère, sans crainte non plus.
“Monsieur Saunders,” répliqua Vogel choqué par tant de cynisme, “nous sommes en possession de documents qui nous laissent à penser que Louis Lannois exerçait un chantage sur vous depuis des années et on peut imaginer que de nouvelles exigences, comme l’achat d’un manoir en Normandie ou l’engagement d’une nouvelle "joie de vivre" ont eu raison de votre patience.”
“Non. Lannois est un gagne-petit, c’est ce qui assure sa longévité dans la carrière de maitre-chanteur. Non,” reprit-il. “D’abord, je n’ai pas payé son manoir. Ensuite, entretenir cette pauvre sotte ne coûtait pas très cher, trop pour ce qu’elle méritait, mais dans l’absolu pas tellement. Elle se gavait de notes de taxi insensées, de frais de restaurant pantagruéliques, c’était sa façon de se croire puissante mais cela ne représentait pas grand chose pour un groupe de presse comme le mien.”
Il leur fit face, le regard toujours aussi inexpressif. Pour lui, l’entretien était fini. Il était Marcel Saunders, l’homme qui côtoie les hommes politiques et les grands patrons et il ne tarderait pas à le faire savoir. En effet, dès son retour au quai des Orfèvres, Vogel se vit signifier sans aménité qu’il lui fallait remettre tous les dossiers constitués par Lannois, que cette affaire ne concernait pas directement l’enquête sur la mort de madame Lannois née Delarue puisque, de toute façon, M. Saunders était bien au dessus de l’Atlantique, qu’il ferait mieux de se concentrer sur d’autres pistes peut-être moins spectaculaires mais plus vraisemblables.

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