53 Entrevue avec Saunders

29 mai 2011

Jeanne Riguidel le tira de ses rêveries
“Le commissaire vient d’appeler pour que vous le rejoigniez au bureau de M. Saunders. Un homme charmant...”
“Qui ça ? Vogel ?” demanda-t-il, exaspéré par l’onctuosité du ton de l’autre. Il faudrait qu’il lui trouve un rôle dans son scénario.
“Oui, certainement, mais je parlais de M. Saunders. Vous comprenez, je suis très bien avec lui. C’est lui qui m’a signé mon contrat.”
“Vous avez bien de la chance, en effet, d’être appréciée d’un homme aussi remarquable,” répondit-il en pensant au contenu du dossier de Lannois.

Ces imbéciles savaient-elles que l’empire Saunders reposait sur des trafics de piastres dans cette curieuse période de l’après-guerre où certains se croyaient tout permis ? Où un chef de cabinet avait parié d’apporter à son ministre le courrier en armure du Moyen-Age et l’avait fait ? Où un ministre avait fait arrêter le train pour finir sa partie de poker avant d’arriver au Congo ? Où d’anciens collabos s’étaient reconvertis dans la Résistance et dans les juteux marchés de la période de restrictions qui suivit ?
Il dévala les escaliers et remonta dans l’immeuble voisin à l’étage où la moquette était la plus épaisse, où la vue sur Paris était si belle. Il s’attendait à une secrétaire personnelle ravissante comme au cinéma mais c’est une drôle de petite femme aux épaisses lunettes et au sourire de poisson qui l’introduisit dans le saint des saints d’un air franchement réprobateur.
Saunders était un homme massif au front taurin partiellement dégarni. Il jeta un œil glacé sur le nouvel arrivant en lui désignant un fauteuil à côté de Vogel. Rarement Beaudoin n’avait eu une telle impression de puissance ramassée sur elle-même, l’assurance que donnent l’argent et le pouvoir de faire et défaire les hommes politiques. Il ne cherchait pas à cacher son impatience et si Vogel avait compté l’émouvoir en l’obligeant à attendre son inspecteur, c’était raté. Il était là, froid et rugueux comme un bloc de granit, impossible à entamer.
“M. Saunders, comme vous le savez, j’enquête sur la mort de Lucile Delarue avec l’inspecteur Beaudoin.”
Le regard se fit plat et terne comme celui d’un requin blanc.
“Nous sommes d’autant plus pressés de trouver l’assassin que Louis Lannois a été victime lui aussi de ce que nous ne savons pas encore qualifier d’agression ou d’accident”.
D’un ton sans expression, Saunders demanda :
“Comment va-t-il ?”
“Mal. En fait les médecins sont très inquiets,” ajouta Vogel, espérant un peu moins d’indifférence.
Au contraire, le silence s’installa. On entendait la circulation en bas, les sonneries de téléphone, une musique de fond urbaine.
“Vous ne paraissez pas très ému par ces drames qui se passent tout de même dans votre entourage proche,” finit par constater le commissaire.
“Monsieur, personne ne pourra vous dire que Lucile Delarue faisait partie de mes proches. C’était une employée et pas une des meilleures, je me permets de le préciser. C’est Marie-Caroline Liévin qui en était responsable avec Pierre-Yves Gayot. C’est donc eux qui la connaissaient le mieux.”

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