46 Crêpière ou vamp ?

13 mai 2011

“Que souhaitez-vous alors ? Que Ginette prenne la direction de la rubrique ?”
“Elle a dû vous dire qu’elle rêvait que nous la reprenions, elle et moi, mais je ne la crois pas. Si c’est elle, dans un mois, elle a la photo de son chat agrandie sur son bureau et le rétroviseur reprend du service. Elle glapit, soupire qu’elle n’est pas bien entourée et insulte la secrétaire. Merci, j’ai déjà donné.”
“Alors qui ? Vous ?”
“Ce serait une belle voie de garage mais je suis encore un peu jeune pour songer à la retraite. De plus Riguidel ne fait pas mystère de la méfiance que j’éveille en elle, et elle a raison.”
“Donc vous partez ?”
“Et vous ? Vous n’avez pas l’air de supporter si bien non plus les détails pénibles qui sont le pain quotidien d’un policier, la vue des cadavres par exemple !”
Il la trouva à nouveau extrêmement antipathique. Elle passait de la semi-confidence à l’agressivité la moins déguisée.
Comme si elle avait lu dans ses pensées, elle s’exclama :
“Excusez-moi ! Ce n’est pas très délicat de reparler de ça. Je n’ai aucune idée de ce qu’est votre métier de policier mais la presse n’est pas non plus ce qu’en croient les gens, comme vous commencez à vous en apercevoir.”
“Ce n’est pas très gai, en effet.”
“Ce n’est peut-être pas si triste si on le sait. Encore faut-il le savoir.”

Elle ne tirait aucune gloire de se savoir différente, elle constatait que sa vie était ailleurs, sans doute chez elle, une louche de pâte à crêpe à la main sous le regard de ses fils. Beaudoin avait du mal à la voir en mère, trop séduisante par rapport à ce qu’il se souvenait de la sienne quand il était petit. Il l’imaginait mieux en femme fatale et pourtant elle n’était pas cela non plus. Elle avait un regard gentil qui ne cadrait pas avec la silhouette qu’il devinait malgré le pull housse. Il n’avait encore jamais rencontré ce cocktail et finit par le lui dire.
“Je comprends le commissaire Vogel, vous n’êtes pas facile à cerner.”
Elle lui jeta un regard sans douceur :
“Quelle idée de vouloir "cerner" ! Est-ce tellement intéressant ? Je préfère que l’on m’étonne. Quant à Vogel il ne comprend rien aux femmes et ce n’est pas de ma faute. Ne faites pas comme lui, je suis normalement compliquée, comme tout le monde mais c’est peut-être la première fois que vous êtes amené à essayer de comprendre quelqu’un ?”

Un peu vexé qu’elle le prenne pour un débutant, il haussa les épaules en grognant vaguement. C’est vrai qu’il ne s’était jamais penché avec autant d’attention sur une autre femme, même ses fiancées lui avaient paru simples. Alex le saluait maintenant retournant à ses crêpes, à son mari qui rentrait d’il ne savait où. Il eut une brutale faim de crêpes, d’odeur de pâte dans le beurre chaud. Avec l’impression qu’elle devinait ses pensées, il tourna les talons pour qu’elle ne le voit pas rougir.

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